Par Yves Chiron
L’Eglise catholique, mais aussi le Land de Bad-Württemberg et la ville de Constance, commémorent cette année le 600e anniversaire de l’ouverture du concile qui s’est tenu dans cette ville de 1414 à 1418.
Ce XVIe concile œcuménique de l’histoire de l’Eglise a été réuni à l’initiative de l’empereur Sigismond pour mettre fin au Grand Schisme d’Occident. Il a été très mouvementé, puisqu’il a vu la destitution ou la démission des trois papes ou antipapes (Jean XXIII, Grégoire XII et Benoît XIII) qui étaient en rivalité, l’élection d’un autre (Martin V) et l’exécution de deux hérétiques (Jan Hus et son disciple Jérôme de Prague).
Ce concile est resté dans l’histoire aussi comme celui qui, dans ses décrets, a essayé d’imposer la théorie « conciliariste », c’est-à-dire la supériorité du concile sur le pape. Un des premiers décrets votés par l’assemblée affirme que le concile représente l’« Eglise catholique militante » et tient « son pouvoir immédiatement du Christ ». Il s’affirme clairement supérieur et indépendant du pape et déclare posséder une juridiction universelle sur l’Eglise, y compris en matière de foi.
Un autre décret, intitulé Frequens, voté le 9 octobre 1417, visait à faire des conciles une institution permanente de l’Eglise – un concile devait être réuni tous les dix ans – et un instrument de contrôle de la papauté.
Paradoxalement, ce concile, qui avait très largement pris le pouvoir sur le pape et prétendait réformer l’Eglise, ne réussit pas à s’accorder sur un programme complet et cohérent. Les « avis » exprimés par les différents groupes d’évêques réunis en « nations » étaient souvent divergents et aucune autorité supérieure ne fut en mesure de trancher ou de faire une synthèse.
Récupération œcuménique
Il est à craindre que ces affirmations « conciliaristes » ne soient mises en avant à l’occasion de ce 600e centenaire. En effet, l’Eglise évangélique réformée (c’est-à-dire les luthériens) a été associée aux célébrations et cérémonies. Dès le 27 avril prochain, une « cérémonie œcuménique » aura lieu dans la cathédrale catholique de Constance. Le curé de la cathédrale estime : « La question de la répartition du pouvoir entre le pape et le concile reste encore actuelle. »
On rappellera que le conciliarisme n’a guère survécu au concile de Constance. Un siècle plus tard, le grand théologien Cajétan, qui fut maître général de l’Ordre dominicain puis cardinal, l’a réfuté à plusieurs reprises : en 1511 dans son traité De comparatione auctoritatis papae et concili, en 1512 dans son discours au Ve concile du Latran et encore dans le débat qu’il eut avec Luther à Ausbourg en octobre 1518. Cajétan a contredit la doctrine de la supériorité du concile et défendu l’autorité dernière du pape sur le concile.
L’abbé de Tanoüarn, dans son savant livre sur Cajétan (Cerf, 2009) a rappelé une des formules du cardinal théologien sur l’autorité du pape : « La puissance du pape contient en elle-même les puissances de tous les autres, comme étant leur cause universelle. » Je renvoie les lecteurs au commentaire qu’il en fait.