Hubert Robert, au-delà des ruines

 

La dernière grande exposition Hubert Robert en France remonte à 1933. Depuis, on le croise dans les expositions qui ont l’Italie pour sujet (puisqu’il y vécut de 1754 à 1765) ou dans de modestes accrochages (quelques tableaux du musée de Valence s’invitèrent au Petit Palais, cf. « Un poète du XVIIIe », Présent du 27 juillet 2013). Ces apparitions discrètes laissaient entrevoir un artiste sous-estimé par la postérité et vraiment mal calibré par son surnom de « peintre des ruines ».

8570-P5-Caprice-antiqueL’ancien portique de l’empereur Marc-Aurèle. 1784, huile sur toile, 161 x 117 cm.
Musée du Louvre, dépôt à l’ambassade de France à Londres.
© Musée du Louvre (dist. RMN-GP)/ Todd-White Art Photography

Le Louvre, où Robert est chez lui puisqu’il y eut son atelier sous l’Ancien Régime et qu’il devint, après la Révolution, l’un des concepteurs du musée, le Louvre nous invite à suivre cet artiste qui part pour Rome comme sculpteur et y devient irrémédiablement peintre. Souvent dans ses tableaux on voit, occupé à dessiner, un jeune homme : c’est lui-même, ou Fragonard avec qui il part sur le motif, ou tout autre de ces artistes qui parcouraient l’Italie. Plus qu’un autre, il s’enivre de monuments antiques, d’églises, de jardins, de paysages… Jamais Hubert Robert ne peint un monument sec : il y glisse toujours la vie, celle du peuple qui s’affaire ou se distrait sur les marches ou les ruines, peuple indifférent, peut-être, mais consanguin au bâtiment ou au lieu, que ce soit Saint-Pierre de Rome ou la place du Capitole. Le linge sèche entre les pieds d’un arc triomphal, chiens et mendiants dorment.

L’art d’Hubert Robert (1733-1808) est marqué par des Italiens. Pannini (1691-1765) d’abord, pour le rôle poétique et principal donné aux monuments, Piranèse (1720-1778) ensuite pour la participation de leurs lignes et de leurs masses dans la composition. Et par des Français, mais romains : Le Lorrain (1600-1682), pour le jeu de lumière dans l’architecture ; Poussin (1594-1665) à qui il emprunte les grands paysages, en y mettant moins de concentration, et qu’il semble souvent « citer » : les femmes à la cruche devant le Pont du Gard ne renvoient-elles pas à Eliézer et Rebecca ? Les jeunes filles qui dansent autour d’un obélisque à La Danse de la vie humaine ? Hubert Robert a peint lui aussi ses bergers d’Arcadie.

Robert des ponts
Son tableau de réception à l’Académie royale de peinture, où il est reçu comme « peintre d’architecture » à son retour en France (Le Port de Ripetta, 1766), est un caprice qui synthétise son expérience romaine : un rassemblement artificiel de différents monuments, un urbanisme idéal auquel on croit d’autant plus que le peuple présent lui prête vie. Tableau de grand savoir où des lumières subtiles s’égrenent sur les vastes escaliers, Le Port de Ripetta n’est pas une démonstration de technicité mais, avant tout, peinture d’atmosphère.

Lancé comme « peintre d’architecture », connu comme « Robert des ruines » – appellations qui ne disent pas du tout quel poète il est ou qui limitent singulièrement sa poésie – Hubert Robert aurait pu refaire cent fois la même toile. Un regard superficiel croira que tel est le cas. Une rétrospective aurait pu en être la démonstration dévastatrice. Elle montre qu’au contraire, l’artiste a su peindre chacune de ses toiles avec la fraîcheur du premier regard, fît-il une série de variations autour d’un thème.

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Les polichinelles musiciens. Vers 1762-1764, huile sur bois, 16,6 x 22. Amiens, musée de Picardie. © Collection du musée de Picardie, photo Marc Jeanneteau, Amiens

Les articulations entre la pierre, la lumière et les figures, qui sont sa préoccupation, sont sans cesse renouvelées. Ce goût du bel appareillage, des murs, des arcs et des voûtes, bref ce goût de la pierre ne lui vient-elle pas de sa première vocation de sculpteur ? De même que ce travail par plans, qui ne concerne pas sa touche mais les grandes lignes de ses compositions. Aussi bien pourrait-on le surnommer Robert des pierres, et plus spécialement Robert des ponts, ou Robert le pontife : car il a aimé mettre en scène les ponts, leur dynamique horizontale, le rythme de leurs arcs, et associer à la sécheresse de la pierre le contact de l’eau. Beaucoup de tableaux d’Hubert Robert fonctionnent sur ces contrastes ; idem pour les figures, souvent il mêle sur une même toile gens en toge et gens vêtus de façon moderne.

Décorateur et témoin
Même s’ils ne sont plus in situ, de très grands tableaux d’Hubert Robert donnent l’étendue de son talent de décorateur. C’est le cas de l’ensemble peint pour le château de Fontainebleau : Les Antiquités de la France (1787), à savoir le temple de Diane, la Maison Carrée, le Pont du Gard et le théâtre d’Orange. Cette « découverte » de l’histoire ancienne de la France a lieu dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les destructions révolutionnaires la rendront encore plus nécessaire et sensible. Robert est aussi de son époque lorqu’il peint le sublime ou « l’horreur » définit par Edmund Burke, celle de la beauté grandiose de la nature où l’homme est écrasé par la démesure du spectacle : gigantesque tableau Paysage avec cascade inpiré de Tivoli (1779) où toute la scène est baignée de vapeur, Fontaines de Vaucluse… Ces toiles pourraient n’être que de « grandes machines », n’était la poésie dont Hubert Robert doue chacun des sujets.

A Rome Robert avait peint, comme en reportage, les derniers travaux de la Fontaine de Trévi. Les travaux de Paris l’intéressent autant, puis les troubles de la Révolution : la démolition de la Bastille, la prison où il passe neuf mois (1793-1794) pour « son incivisme reconnu » et « ses liaisons avec les aristocrates ». Son pinceau fixe la cellule, le ravitaillement des prisonniers, leur jeu de balle dans la cour… C’est tout d’un coup l’univers qui se ferme, le poète contraint de « chanter » la geôle, lui qui n’avait goût que pour les grands espaces et les beaux murs vus dans la lumière.

Hubert Robert – Un peintre visionnaire. Jusqu’au 30 mai 2016, musée du Louvre.

Samuel Martin – Présent

Illustration :jardin d’une villa italienne. 1764, huile sur toile, 93 x 113 cm. © Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa

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