Pour les archéologues, il s’agit-là d’un découverte étonnante qui apporte des renseignements inédits sur la préhistoire. Mais pour les pêcheurs, ce pays englouti sous la mer du Nord est avant tout une source intarissable d’ennuis. Tout commence il y a 150 ans, lorsque les pêcheurs adoptent le chalutage en eau profonde. Nombre d’entre eux découvrent dans leurs filets des objets qui n’ont rien à y faire : des énormes défenses de mammouths voire des squelettes de rhinocéros laineux ! On imagine le mélange d’étonnement et de crainte qu’ont dû provoquer ces restes de créatures oubliées. Jusqu’à l’arrivée des archéologues, les pêcheurs rejetaient consciencieusement toutes ces « saletés » par-dessus bord, quitte à ce que leurs collègues les retrouvent dans leurs filets le lendemain !
C’est un archéologue amateur, Dick Mol, qui est parvenu à leur faire perdre cette habitude. Il les a convaincus de lui rapporter ces squelettes étranges et de noter l’endroit où ils avaient été pêchés. En 1985, un capitaine rapporte ainsi à M. Mol une mâchoire humaine, dont la datation au carbone démontrera qu’elle est vieille de plus de 9 500 ans. Avec un autre amateur éclairé, Jan Glimmerveen, les deux Allemands se plongent dans un monde disparu, hanté par les lions des cavernes et nos ancêtres pas si lointains.
Les hommes qui parcouraient ce pays disparu nous ressemblaient par la taille, la dimension de la boîte crânienne, etc. Ils avaient découvert un paradis pour chasseurs-cueilleurs. De ce paradis, il reste des traces géographiques pour qui sait sonder les fonds sous-marins. Ainsi le Dogger Bank, un banc de sable immergé situé à la hauteur du Yorkshire et qui a donné son nom au Doggerland, est un résidu des plateaux préhistoriques. Durant l’ère glaciaire, le niveau des mers était considérablement plus bas que celui que nous connaissons : jusqu’à 120 m de différence ! Les parties les moins profondes de la mer du Nord étaient émergées. Elles se couvraient de forêts humides et de marais, de nombreux fleuves les parcouraient, les chasseurs, les cueilleurs et les pêcheurs prospéraient ! On ne serait pas loin de l’image du jardin d’Adam et Ève sans un froid vif : il y avait encore à cette époque un imposant glacier en Écosse.
La glace reculant, les terres émergées suivent le mouvement. Précisons que le problème vient des glaciers, présents sur des terres émergées : la fonte de la banquise ne fait pas plus monter le niveau de la mer qu’un glaçon dans un verre de Ricard. Les archéologues envisagent alors une série de scénarii catastrophiques. Outre le grignotage progressif de leur territoire, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont connu des tsunamis, des exodes massifs et probablement des conflits pour les territoires restants. Ils ont assisté, impuissants, à l’inondation de leurs chères grandes forêts, ce phénomène donnant lieu à des scènes surréalistes comme l’explique l’archéologue Martin Bell au National Geographic : « À une certaine époque, les sommets de gigantesques chênes ont dû émerger morts, au milieu des marais salés. Ce devait être un paysage tout à fait étrange ». Vers la fin du processus de reflux, en 6 500 avant Jésus-Christ la Grande-Bretagne devenait une île.