Le Syndicat de la magistrature a encore frappé ! Avec le bon sens qu’on lui connaît, il rappelle urbi et orbi que le juge judiciaire est le gardien des libertés individuelles. Pour clôturer en beauté la campagne des départementales, il vient de rendre une décision qui, à n’en pas douter, enrichira les pages de jurisprudence placées sous l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 traitant de la diffamation.
Mais, qu’on me pardonne, je m’égare. Rien ne prouve, en effet, que l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 18 mars dernier soit l’œuvre du Syndicat de la magistrature. Si ce n’est lui, il l’a au moins inspiré. La justice française a si bien intégré le catéchisme républicain qu’il n’est plus nécessaire, à un syndicat gauchisant, de placer ses juges à chaque étage de l’édifice. Miracle de l’autodestruction d’une société analysée brillamment par Zemmour.
Mais de quoi s’agit-il, à la fin ? Simplement d’une injure publique. Celle d’un humoriste nommé Nicolas Bedos, sans doute un type très drôle comme son papa, une grande conscience de la République, un des gardiens du temple auréolé de respect par tout ce que la médiacratie compte de bien-pensants. Ce Nicolas Bedos écrivait, dans Marianne, en 2012 : « La droite entend ainsi lutter contre la montée de l’extrême droite. “Ne laissons pas le terrain à Marine, la VRAIE méchante” […]. Sauf que personne n’empêchera quelques idéalistes rigides de penser qu’à force de singer la salope fascisante, celle-ci est déjà au pouvoir : […] on l’appelle Claude Guéant. »
Marine Le Pen avait saisi le tribunal correctionnel uniquement sur le terme « salope ». Instruite par l’expérience, elle sait que l’adjectif « fascisant » est désormais admis – à son encontre – par la justice. Se faire traiter de « salope » reste, jusqu’à preuve du contraire, une injure, c’est-à-dire, selon la définition de la loi, « toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». Si quelqu’un veut tenter l’expérience à l’égard – par exemple – de madame Taubira, il comprendra rapidement la manière dont les juges apprécieront son sens de l’humour.
Mais n’est pas Bedos qui veut. Lui porte un si grand nom, qui plonge ses racines dans les tréfonds de l’histoire de France, qui évoque le sang versé pour la patrie, la grandeur de la nation et l’éminence des services rendus, qu’il peut se permettre de tels propos qui, d’injures, deviennent vérités, douloureuses mais pures. Surtout lorsque est revendiquée la liberté d’outrager, dès lors que les propos tenus émanent d’un « humoriste » engagé (à gauche). C’est ce qu’avait jugé le tribunal correctionnel. Pour lui, il était « parfaitement clair pour tout lecteur que la chronique en cause se situe dans un registre aux accents délibérément provocateurs et outranciers, revendiqué comme tel ». Saisie par Marine Le Pen, la cour vient de confirmer la relaxe, par des motifs qui ne sont pas encore connus, mais dont on doute qu’ils soient très différents.
Que signifie cette décision ? Tout simplement l’abandon du critère objectif de qualification de l’injure, appréciée en tant que telle. La justice ne dit pas (pas encore) que l’injure s’apprécie par rapport aux opinions politiques de la victime ou de l’auteur. Elle y viendra, car cette distinction illégale figure déjà en filigrane de toutes ses décisions depuis quelques années. Christiane Taubira en sait quelque chose.
Marine Le Pen peut se pourvoir en cassation. Dans l’immédiat, cette décision ouvre un grand espace de liberté pour l’entre-deux-tours. Et laisse présager à quel niveau le débat politique se situera en 2017. Nous en reparlerons…