Après l’agression d’Alain Finkielkraut lors de la manifestation des gilets jaunes de samedi, Boulevard Voltaire a voulu avoir l’analyse d’Ivan Rioufol, qui suit le mouvement depuis le début. Comment voit-il son évolution ?
L’agression verbale d’Alain Finkielkraut par des gilets jaunes, ce week-end, a relancé certains journalistes et observateurs sur l’antisémitisme. Les gilets jaunes sont-ils coupables d’une remontée de l’antisémitisme ?
Les gilets jaunes sont coupables, s’ils devaient l’être, de s’être laissés infiltrer par une mouvance antisémite. Cette mouvance antisémite ne représente pas les gilets jaunes. C’est trop commode.
Lorsque j’entends certains dire que l’antisémitisme est au cœur du mouvement des gilets jaunes, c’est une « fake news ». Ce n’est pas vrai.
La semaine dernière, Le Monde a épluché les Facebook de tous les réseaux gilets jaunes pour en conclure que, dans les mots-clés, aucun mot n’allait de près ou de loin vers un antisémitisme, une homophobie ou un racisme.
On voit bien que l’image qui ressort de cet antisémitisme est celle d’un salafiste. Pourquoi ces informations sont-elles remontées ? Tentative de décrédibilisation ?
Une partie du discours officiel a pour objectif, depuis le 17 novembre, de décrédibiliser ce mouvement vu, à raison, comme un mouvement gênant pour le pouvoir. Il était effectivement gênant puisque il s’agissait de toute une partie du peuple oubliée qui demandait de reprendre sa place dans l’Histoire.
Par commodité, on a voulu laisser croire que ce peuple-là était un pestiféré – la lèpre qui monte, et tous ces termes sympathiques. Tous ces propos ont été déversés au prétexte de faire taire, précisément, cette révolte-là.
Plus le gouvernement tente de faire taire cette révolte, plus il attise la radicalité. Je ne l’excuse pas, évidemment, mais le gouvernement et beaucoup d’intellectuels veulent absolument stigmatiser ces gilets jaunes.
Ces derniers tiennent à prendre la parole. Ils le font, malheureusement, maladroitement. Il n’y a ni leader ni slogan. Ils se laissent voler leur propre révolution par des mouvements extrémistes. On peut le leur reprocher. Dès le départ, je me suis mis en défense de ce mouvement. Je trouve qu’il est légitime et démocratique. Il demande simplement que l’on démocratise la démocratie. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Laurent Fabius sur une radio.
Comment voyez-vous ce mouvement évoluer ?
Tout dépend de comment on le regarde. Si on le regarde à travers le prisme de ses dérapages, alors le malaise est certain. Il me gagne, d’ailleurs, aussi. Je ne supporte pas de voir ces violences à répétition, avec l’infiltration du mouvement par l’extrême gauche et les islamistes. Les images parlent d’elles-mêmes sur ce point.
Je comprends parfaitement qu’il y ait une réticence de l’opinion face à cet entêtement des gilets jaunes à vouloir poursuivre une méthode qui, pour l’instant, ne porte plus ses fruits. C’est donc à eux d’inventer autre chose. Je pense qu’ils devraient retourner sur les ronds-points et sur les lieux mêmes de leur fraternité plutôt que de se laisser caricaturer aussi follement.
Le fond du sujet reste néanmoins le même. Il n’a pas été réglé. Il y a une demande pressante de prise en charge d’une crise existentielle.