La littérature ne paie pas. Christian Dedet s’en est ouvert dans ses recueils de souvenirs Sacrée jeunesse et L’Abondance et le rêve (couvrant les années 58-66, nous attendons la suite avec impatience !). Son défi, travailler une partie de l’année en cure thermale puis, le reste du temps, se consacrer à sa passion, l’écriture. Cet ouvrage retrace donc 33 années de médecine thermale au travers de l’histoire des villes d’eaux et de leurs visiteurs plus ou moins célèbres.
Le chant des sources. C’est à la fin du XIXe que se développent les stations. La guerre de 1870 est passée par là. On veut concurrencer notre voisin bien encombrant. Il faut éblouir, le pays est prospère. Des auteurs à la mode feront leur passage dans ces stations, notamment Alphonse Daudet, donnant lieu à des confessions, entre illusion et amertume. Chronique des hôtels, dispute sur la température de l’eau, réconfort de la maladie de l’autre, tout y passe : « Mon sosie. L’homme dont le mal se rapproche le plus du vôtre. Comme on l’aime, comme on le fait parler. » L’envers du décor, il l’évoque avec une froide vérité dans La Doulou. La doulou, c’est la « douleur » en langue provençale ; une façon, ainsi nommée, de tenter de l’apprivoiser : « Par moments, impossibilité d’écrire, tellement la main tremble, surtout quand je suis debout. (Mort de Victor Hugo, signature au registre. Entouré, regardé – terrible.) » Un journal bouleversant, plein de lucidité : « Comme mes désirs se bornent, à mesure que l’espace se rétrécit. Aujourd’hui, je n’en suis plus à désirer guérir – me maintenir seulement. Si on m’avait dit ça l’année dernière. »
Face aux pays de la douleur, les villes d’eaux… Lieu d’espoir, de résignation ; parfois d’épouvante, les dictante dolore de ce livre eurent pour cadre Néri-les-Bains, dans l’Allier ; plus encore Lamalou, dans l’Hérault.
La saison finie, les bains fermés, cet agglomérat de douleurs se désagrège et chacun de ces malades va redevenir un isolé, perdu dans le bruit et l’agitation de la vie. Il en ira de même pour ce cher Maupassant qui connaîtra « le supplice de l’eau… étranglé dans une sorte de camisole de force, le tuyau dans la bouche puis jusqu’au fond du ventre… », l’aide tournant un robinet et l’eau gonflant le patient « à la façon des chameaux qui boivent aux citernes la provision d’un mois ». Il s’en vengera par une satire précise de la vie thermale, Mont-Oriol.
Plongée au cœur des cures et des curistes, des plus ou moins gros « bobos » d’une humanité en quête de ressourcement et plus si affinité. Car des thermes de Caracalla à la nouvelle utopie thermale d’un Jean Nouvel, se révèlent, à travers façades et décors, les reflets du désir mêlés à la fluidité de l’eau, au risque d’entretenir la confusion, dans l’esprit du public, entre santé et bien-être !
La lecture de Christian Dedet est déjà un remède en soi, qui devrait être délivré en pharmacie sans ordonnance.
Patrick Wagner – Présent
Christian Dedet, Histoire d’eaux, de Borée, 7 euros, 25 pages.