Elle est charmante, cette exposition toulousaine… Cour de ferme, cour de prison, cour d’hôpital, cour d’immeuble, à qui ces termes ne parlent-ils pas d’une scène entrevue, d’un souvenir d’enfance ? C’est l’œuf de Colomb : il suffisait d’y penser, d’ajouter atriums, patios et sérails pour les amateurs de voyages et d’exotisme, de partir en chasse dans les musées de province et d’emprunter un titre à Hitchcock. Le résultat procure des surprises délicieuses comme le Patio bleu de Rusiñol (1891) qui fait l’affiche, ou surtout cette arrière-cour romaine de Mossbrugger (1830), ou encore ces cours d’auberge ou de ferme empruntées aux musées de Lisieux, d’Orléans (le merveilleux Ramoneur assoiffé), de Rennes (Angillis), de Lyon (Auguste Flandrin, frère d’Hippolyte), de Montpellier (un Sébastien Bourdon !).
Il y a même un Corot et un Bonnard (inattendus), un Vuillard (décevant), trois Eugène Boudin, un Hubert Robert qui nous confirme qu’il est un grand peintre de la pierre et non pas des ruines (c’est L’Ecole de Chirurgie en construction, 1773). On regrette qu’aucun Boilly ne soit présent. Heureusement, le catalogue et ses notices permettent de « visionner » L’Arrivée d’une diligence dans la cour des Messageries (mais pas La Prison des Madelonettes qui est restée à Carnavalet).
Emma, fille de Charlemagne
On pourrait craindre que la présentation par catégories (cours orientales, cloîtres, etc.) n’entraîne quelque monotonie. Mais ce classement est heureusement assez fantaisiste : sur 16 prétendus cloîtres, la moitié n’en sont pas (l’un n’est même pas une cour, mais un intérieur de monastère trappiste) ; et la catégorie « Les cours théâtre de l’Histoire » est très élastique puisqu’elle mêle récits mythologiques ou bibliques (on en trouve classés ailleurs), scènes de genre (la cour de caserne), et même une jolie légende comme celle d’Emma, fille de Charlemagne, portant son amoureux Eginhard dans ses bras parce que la neige est tombée et qu’on verrait leurs traces doubles s’il marchait (c’était une costaude, Emma, elle tenait de son père !). Il manque, inexplicablement, les cours de récréation, avec leurs (trop ?) classiques parties de billes, mais les enfants sont présents dans quelques cours de ferme et bambochades.
Dans le temps, nous remontons seulement jusqu’à l’Anversois Paul de Vries vers 1600 (aidé par Brueghel de Velours), mais un hortus conclusus (le jardin où Marie reçoit l’Annonciation, prototype des cours fermées) nous est montré dans le catalogue imprimé. Et l’exposition s’achève sur deux parachutistes atterrissant dans une cour : l’un de l’anticlérical, mais non blasphémateur, Usellini (1936), l’autre du clérical Maurice Denis (Apparition du Christ aux apôtres), – ce n’est pas son meilleur tableau et, s’il n’était de 1917, on pourrait penser qu’il a inspiré les vers d’Apollinaire dans Zone : « C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs/Il détient le record du monde pour la hauteur »…
Certes Axel Hémery, directeur du Musée des Augustins et commissaire de cette exposition, a un goût immodéré du pittoresque : était-il nécessaire de convoquer la ridicule Annonciation de L.-O. Merson, où l’Ange Gabriel semble jouer les funambules sur l’arête du toit d’une chaumière tout en chassant les pigeons, et l’obscène Dédale et Pasiphaé du musée d’Agen (Lemaire n’est pas pour rien disciple de Vouet…) ? Mais nous ne nous plaindrons pas, puisque nous échappons pour une fois à l’abstraction et au pédantisme qui caractérisent trop souvent aujourd’hui les discours sur l’art. Le catalogue édité par Liénart (200 pages, 29 euros) comporte, outre les 87 pièces, pleine page, de l’exposition, environ 25 reproductions d’autres tableaux ou dessins, le tout commenté dans de savantes et judicieuses notices principalement dues à M. Hémery.
Jusqu’au 17 avril 2017.
Légende du tableau: Pierre Duval-Lecamus, Paysans occupés à préparer le chanvre devant la porte d’une chaumière.
Robert le Blanc- Présent