Avec l’épineux dossier de la Grèce et la périlleuse question de l’Ukraine, l’Europe est dans le dur. Harassée par une crise économique ouverte depuis 2008 et non encore jugulée, sous la menace directe du terrorisme islamique, elle peine à répondre d’une voix unique et ferme aux défis multipolaires qui remettent en cause sa raison d’être.
Malgré leurs efforts conjugués et méritoires, Angela Merkel et François Hollande ont probablement signé à Minsk un accord de dupes que les belligérants vont rapidement traiter comme un chiffon de papier. La Russie de Vladimir Poutine, désireuse de retrouver son rang mondial après l’effondrement de l’URSS, est chauffée à blanc par une opinion publique ultra-nationaliste qui soutient totalement les tentatives de sécession des provinces russophones d’Ukraine. Un séisme dans l’espace européen annonciateur d’autres répliques dans tous les Etats frontaliers de la Russie peuplés de fortes minorités d’émigrés russes installées depuis des générations dans les anciennes républiques populaires de l’empire soviétique. En 2008 déjà, deux provinces ont été arrachées, dans des conditions semblables, à la souveraineté de la Géorgie. Il y en aura bien d’autres.
Comme en Crimée, les séparatistes de la république autoproclamée du Donetsk n’ont rien à faire d’une autonomie, synonyme de maintien au sein de l’Etat ukrainien. Ils revendiquent l’annexion pure et simple à la Russie. Les combats reprendront donc inéluctablement avec de possibles redoutables extensions. Et comme disait Claude Cheysson, ancien ministre des affaires étrangères de François Mitterrand : « Comme d’habitude, nous ne ferons rien ». Poutine pourra ainsi savourer sa revanche sur l’humiliation infligée par l’OTAN, il y a 20 ans en Serbie et au Kosovo, à une Russie affaiblie.
Même impasse avec la Grèce ou aucun accord ne semble possible, le nouveau Premier Ministre Tsipras n’ayant aucune autonomie de négociation, lié par les promesses irréalistes faites aux électeurs qui l’ont porté au pouvoir.
L’Europe vit probablement sa plus cruciale crise existentielle depuis la signature de son acte fondateur, le Traité de Rome, en 1957. Bâtie de bric et de broc au fil des événements géopolitiques, elle est devenue un ensemble informe, sans colonne vertébrale, ouverte à tous les vents et exposée à tous les dangers.
Les grandes réformes structurelles n’étant envisageables qu’en période de périls extrêmes, la communauté européenne doit impérativement, face aux menaces externes et aux carences internes qui la fragilisent, se remettre rapidement et totalement en cause, sous peine de se disloquer. Un tel désastre mettrait un terme funeste au plus merveilleux espoir de paix pour l’Humanité, né des décombres de la seconde guerre mondiale.
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Des foules émues et recueillies, hier à Paris, aujourd’hui à Copenhague, demain probablement à Londres ou à Rome… et les sempiternelles déclarations officielles pleines de viriles formules mille fois entendues après chaque crime islamique: » Nous n’admettrons pas… nous ne tolérerons pas ». Et pourtant… on tolère et on admet aujourd’hui comme hier, dans l’incapacité absolue des démocraties à organiser une véritable riposte, à mener une guerre totale contre ce fléau mortel qui menace nos civilisations. Empêtrées dans leurs grands principes et leurs bons sentiments, nos sociétés font chaque jour la démonstration de leur impuissance et de leur vulnérabilité face à des assassins à la foi dévoyée et qui, aspirant au martyr, n’ont aucune crainte de nos lois humanistes et bienveillantes
Les portes restent toujours largement ouvertes à toute la misère du monde appelant des centaines de milliers, bientot des millions de réfugiés dans tous les pays européens, a s’engouffrer dans ces espaces libres d’accès. Le niveau d’organisation dont font preuve les islamistes à l’étonnement du monde entier ne peut pas leur laisser négliger cette chance d’infiltrer massivement des djihadistes dans le flot des malheureux fuyant leurs pays dévastés par les guerres. L’Italie vient de se réveiller en s’apercevant qu’ un état islamique était en train de se constituer en Lybie, à 300 km de ses côtés, rivages d’où partent la plupart des navires- poubelles de clandestins.
La moindre velléité de toucher à l’accord- passoire de Schengen fait bondir tous les grands democrates européens. Ils se feraient plutôt égorger sur l’autel du respect des textes.
Le plus grand drame de nos civilisations tient à l’inculture de ses élites.Leur incapacité a tirer les enseignements de l’Histoire qu’ils connaissent mal empêche toute référence a la chute des empires: L’Egypte, la Grèce antique, Rome… mêmes causes, mêmes effets. Sans aller aussi loin dans le temps, le Kosovo, berceau historique de la culture et de l’identité serbe, arraché à ce peuple par une invasion démographique étalée sur des décennies. La complicité active de l’Occident en la matière a permis l’établissement d’un état maffieux islamique en plein cœur de l’Europe. Houellebecq a dit la vérité, il faudra l’exécuter.
Un précédent qui doit faire cogiter tous les tenants du califat universel.
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Tellement en décalage avec des promesses de campagne inconsidérées mais déterminantes pour son élection, François Hollande, sans majorité parlementaire, est obligé de sortir l’arme nucléaire constitutionnelle, le fameux 49/3. Le virage, pourtant de portée limitée, qu’il est contraint de négocier en matière economique, lui inflige le désaveu virulent d’ une partie des parlementaires socialistes, les fameux frondeurs, tenants d’une idéologie archaique, en rupture absolue avec les réalités de la conjoncture.
Le gouvernement de Manuel Valls se retrouve coincé dans une sorte d’espace en apesanteur: accusé d’aller trop loin dans ses réformes par ses partisans, il ne gagne pas l’adhésion de ses adversaires qui les trouvent trop timorées. D’où arithmétiquement, pas de majorité pour voter la loi Macron et la décision du Premier Ministre de brandir la fameuse procédure qui se résume à dire à son groupe « Circulez, il n’y a rien à discuter. Vous votez le texte ou vous sautez ».
Le résultat est connu d’avance: entre les grands principes brandis par les députés refractaires et l’instinct de survie politique il n’y a pas photo. Le texte sera adopté, pas un seul député socialiste n’étant suffisamment suicidaire pour voter la motion de censure déposée par l’opposition.
Question suivante: cette majorité réduite a sa plus simple expression tiendra-t- elle encore longtemps? La sanction électorale lourde qui l’attend au scrutin départemental du mois de mars risque de précipiter le mouvement. Plus que jamais, Manuel Valls va se chercher une majorité de rechange. Nombre de centristes doivent, d’ores et déjà, en piaffer d’impatience…
Autre effet collatéral extérieur de cette rupture annoncée, la leçon que le Premier Ministre grec pourrait utilement tirer de cette impasse où s’est fourvoyée la gauche française. Coincé entre le dur entêtement des faits que l’Europe qu’il voulait fléchir lui rappelle quotidiennement et les rêves irreesponsables qu’il a suscités, il va endurer le supplice de l’écartèlement politique.
Maxime a méditer quand on se trouve au sommet de l’Etat: “On peut tromper tout le peuple une partie du temps, on peut tromper une partie du peuple tout le temps, mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps”.
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» Le 49-3 est une brutalité, le 49-3 est un déni de démocratie, le 49-3 est une manière de freiner ou d’empêcher le débat parlementaire. »
(Francois Hollande, député de l’opposition le 9 février 2006 à l’Assemblée Nationale) .
Vérité en deçà, mensonge au- delà… Le chef de l’Etat, en la circonstance, a commis comme la plupart de ses homologues, le délit de mauvaise foi qui justifie des actes commis en contradiction avec les grands principes jusque là défendus. Avec l’excuse absolutoire excipée par Emmanuel Macron a la télévision, » les circonstances sont différentes ».Comme elles le sont de toute façon toujours, un tel argument est la traduction brutale du réalisme, forme civilisée du cynisme, de l’action politique.
Ne jetons pas hypocritement la pierre à Hollande. Dés le lendemain de son élection, Chirac avait oublié cette déchirante « fracture sociale », vecteur de son succès, plus jamais évoquée pendant tout son mandat. Quant au karcher de Sarkozy contre la délinquance , l’insécurité et l’immigration, il s’est vite transformé en pistolet à eau, cause probable, avec les effets de la crise mondiale, de son échec en 2012.
Dans l’actualité brûlante, les efforts pathétiques du Premier ministre grec, Alexis Tsipras, pour faire entrer l’enormité de ses promesses électorales dans le trou de souris du réalisme européen, illustre cruellement ce décalage béant entre le souhait des dirigeants de réenchanter le rêve national, de la pure poésie, et la réalité de l’entêtement des faits.
En la matière, tous coupables et responsables: les politiques d’une part qui,mieux que quiconque, connaissent la réalité des problèmes à affronter et prennent malgré tout des engagements impossible à tenir et d’autre part les électeurs, pourtant majeurs et vaccinés, toujours prêts a succomber au chant des sirènes. Avec, à l’arrivée, les mêmes déconvenues, les mêmes frustrations, les mêmes colères jusque là contenues. L’alternance est faite pour ça, exutoire institutionnel à la fureur populaire. Jusqu’à quand?
L’Aigre Doux