Par Alain Sanders
Il y soixante ans, en 1944, Titaÿna, aventurière (« aventureuse » comme elle préférait dire) des années trente, choisissait de mettre une bonne distance, et pour toujours, entre elle et la France épuratrice. Vous ne connaissez pas Titaÿna ? Un manque à corriger d’urgence ! (1)
Ecrivain, reporter, casse-cou, cascadeuse, Titaÿna, née Elisabeth Sauvy (c’était la sœur du très austère Alfred Sauvy) est née en 1897 à Villeneuve de la Raho (Pyrénées-Orientales). Le sang est bon : son grand-père, le général Tisseyre, a délimité les frontières du Tonkin. En 1918, elle a la douleur de perdre son père, tué le 9 août devant Montdidier.
En 1921, on la retrouve à l’ambassade du Japon à Paris, dame de compagnie de la princesse Kitachirakawa, sœur de l’empereur nippon. Ce qui lui laisse le temps d’écrire. Un de ses contes sera publié en 1922 dans le quotidien La Victoire. Elle est lancée et commence à se faire connaître sous un pseudo qu’elle ne quittera plus : Titaÿna (emprunté à la mythologie catalane du XVIe siècle). La même année, elle épouse un monsieur Edmond Courtecuisse (qui se fait appeler Maurice Bréval, allez savoir pourquoi…). Un mariage de complaisance déclaré nul par Rome quelques mois plus tard.
Pour L’Intransigeant, elle part en reportage en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Bulgarie (il y a déjà du monde aux Balkans), en Tunisie, dans le Rif en guerre. Et puis – « Tant qu’à m’écraser en avion, autant que je le fasse moi-même » – elle passe son brevet de pilote. En 1928, elle entre à Vu où elle écrira jusqu’en 1939. Mais c’est pour Le Petit Parisien qu’elle fait ses grands reportages en Russie, en Iran, en Syrie.
En 1929, elle épouse un docteur, Ernest Desmarets, mais ne se range pas pour autant : Irak, Transjordanie, pays du Golfe, Etats-Unis, Mexique, Japon, Chine, Indochine, Indes néerlandaises, la Crête (au-dessus de laquelle son avion sera mitraillé) sont ses terrains de jeu favoris. Au passage, elle interviewe Abd el-Krim, Mussolini, Hitler…
Le 9 juillet 1940, elle a la douleur de perdre son autre frère, Pierre, enseigne de vaisseau sur le Bretagne (il est une des victimes – plus de mille – du bombardement anglais de Mers el-Kébir). Ce qui la poussera sans doute à écrire dans Le Cri du Peuple de Doriot et dans les Nouveaux Temps de Luchaire. Mauvaise pioche… En 1944, elle passe en Espagne puis, en 1952, aux Etats-Unis où elle s’installera définitivement (elle épousera un Américain, John Scopazzi). Oubliée de tous, elle décède à San Francisco en 1965.
Cette « charmeuse de nuages » aura échappé à la mort vingt fois, portée par ce besoin d’aller voir « ailleurs », par ce désir d’aller « là-bas » « parce que c’est marqué en blanc sur les cartes ». Ses reportages valent largement ceux de Joseph Kessel, Albert Londres, Mac Orlan, Edouard Hesley.
(1) Disponible naguère chez 10/18, Tatÿana, une femme chez les coupeurs de têtes (publié en 1989) qui regroupe trois reportages : « Une femme chez les coupeurs de têtes » (1934) ; « La caravane des morts » (1929) ; « 10 000 kilomètres à bord des avions ivres » (1929).