Trêve d’hypothèses et de spéculations. Alors que l’intox sur l’entretien Sarkozy-Poutine de 2007 revient toujours sur table lorsqu’on souhaite «gronder» la Russie, l’ex-conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy Jean-David Levitte revient sur ce qui s’est réellement passé entre les deux protagonistes.
L’entretien de 2007 entre l’ancien président de la République française Nicolas Sarkozy et Vladimir Poutine, à l’époque premier ministre de la Fédération de Russie, enflamme toujours les pages et les esprits même neuf ans plus tard. Il est temps de mettre les points sur les « i ». Pour y parvenir, Le Point a contacté le diplomate le plus proche de Nicolas Sarkozy et son ancien conseiller, Jean-David Levitte. Celui-ci s’est empressé de réfuter le caractère « houleux » de la rencontre.
Sur la période de 2007 à 2012, le conseiller a été présent à tous les pourparlers diplomatiques et peut alors témoigner : le tête-à-tête entre le premier ministre russe et le président français n’a été marqué par aucun KO de la part du premier. « Ce G8 s’est déroulé un mois après l’élection de Nicolas Sarkozy. C’était sa première rencontre avec Vladimir Poutine ainsi qu’avec la plupart des chefs d’État présents », se rappelle M. Levitte. Le tête-à-tête s’est déroulé en tout petit comité. Outre deux interprètes, il y avait son adjoint Damien Lorcas, le porte-parole du président David Martinon et son conseiller, M. Levitte, donc. « Dans les premières minutes, Nicolas Sarkozy a effectivement énuméré un certain nombre de sujets qui fâchent, souvent relatifs aux droits de l’homme. Vladimir Poutine l’a écouté puis répliqué qu’à ses yeux il existait également en France des sujets de discorde qui mettaient en jeu les droits de l’homme », poursuit M. Levitte. Et si ensuite l’atmosphère est devenue plus chaude, c’est visiblement en raison du café que les hommes ont pu déguster ! Un point partout en somme, et nous en sommes restés là: le ton n’est pas monté et il n’y a eu aucun échange d’insultes. Puis on nous a apporté du café et des chocolats que Nicolas Sarkozy a goûtés avec plaisir. “Tiens, toi aussi tu es addict au chocolat!”, s’est amusé le premier ministre russe ». S’en est suivi une discussion badine et gastronomique sur ce sujet. « J’invite ceux qui brodent des romans sur la teneur de ce tête-à-tête à lire le verbatim de cette rencontre conservé aux archives de l’Élysée », affirme le conseiller de M. Sarkozy.
Mais allez, à quoi bon consulter les archives couvertes de poussière lorsqu’on peut bâtir une théorie du complot intéressante permettant une nouvelle fois de conclure : « méchante Russie, c’est encore de ta faute » ! Pour les sceptiques, M. Levitte fournit une autre preuve que le tête-à-tête ne s’est pas soldé par un bain de sang. « Une autre preuve que cette rencontre n’a pas tourné au pugilat est l’examen de la crise géorgienne qui s’est déroulée l’année suivante. En août 2008, nous sommes au Stade olympique de Pékin pour l’inauguration des JO. Nous apprenons que les troupes russes ont passé la frontière. Nicolas Sarkozy s’entretient immédiatement avec Poutine. “Qu’apprends-je? Tes troupes ont envahi la Géorgie ?” “On a été provoqués”, répond-il du tac au tac! “Donne-moi 48 heures pour tenter de régler le conflit”, propose alors le président français », poursuit M. Levitte.
Dans un premier temps, M. Poutine a refusé, avant d’entrouvrir la porte à des négociations. La France assurait alors la présidence de l’Union européenne. « Chacun se souvient des efforts diplomatiques que nous avons menés pour régler cette crise. Quelques jours plus tard, nous discutions à Moscou avec Poutine et Dmitri Medvedev, le président russe de l’époque. Ces efforts diplomatiques ont abouti à la signature d’un accord qui a conduit quelques semaines plus tard au retrait des troupes russes entrées en Géorgie en août. Croyez-vous que cet accord aurait vu le jour si les relations entre Nicolas Sarkozy et Vladimir Poutine avaient été aussi dégradées et orageuses que l’on veut bien le rapporter maintenant? », poursuit M. Levitte. « Je m’étonne que l’on puisse colporter avec tant d’assurance des propos qui se seraient tenus lors du G8 d’Heiligendamm », résume-t-il. « L’interprète comme les trois témoins français de la rencontre n’ont jamais rapporté la teneur de cet entretien bilatéral ».