Et si le pèlerinage à La Mecque avait aussi été une aventure européenne ? Cette question peut sembler déplacée, voire incongrue, tant le hajj semble lié de manière consubstantielle au monde musulman. Pour beaucoup d’observateurs, la participation d’Européens ne saurait ainsi qu’un phénomène marginal et récent, essentiellement lié aux migrations de travail de l’après-guerre. C’est passer sous silence le fait que, pendant plus d’un siècle, le cinquième pilier de l’islam a été au c½ur des préoccupations des Empires européens qui n’hésitèrent pas à se définir, pendant toute la période coloniale, comme des « puissances musulmanes ».
À partir d’une imposante documentation archivistique, offrant la matière d’une approche comparée entre empires (France, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Russie, Italie), cet ouvrage cherche à mettre en lumière, de quelle façon le pèlerinage à La Mecque s’est inscrit au cur des rivalités entre Empires et a constitué un enjeu symbolique majeur pour les autorités diplomatiques et coloniales européennes. Si cette prise en charge rencontra de nombreuses résistances, elle fut aussi un puissant instrument de légitimation de l’ordre impérial. Les politiques publiques alors mises en ½uvre par l’Europe coloniale laissèrent une empreinte durable tant en matière de santé publique, que d’encadrement administratif ou encore de gestion des flux, modifiant en profondeur le régime même du hajj mecquois.