Histoire, contes et légendes de la place Vendôme…

Capitale mondiale de la joaillerie, la place Vendôme, un des sites historiques majeurs de Paris, a connu une existence mouvementée. Pour nous raconter son histoire, nous sommes allés à la rencontre de Vincent Meylan, journaliste et historien, grand spécialiste du lieu.

Commençons par le début. Si la place Vendôme porte ce nom c’est parce qu’elle abritait autrefois, un hôtel particulier, celui du Duc de Vendôme.

On compte, dans la malheureusement trop courte vie d’Henri IV, plusieurs femmes lui ayant donné une descendance, parmi elles, bien sûr, la reine Marie de Médicis mais aussi plusieurs «illégitimes» dont son grand amour: Gabrielle d’Estrées. Ce sont les trois enfants de cette dernière, les seuls qu’Henri IV ait légitimés, qui vivaient dans l’hôtel de Vendôme.

Loin d’atteindre ses limites actuelles, le Paris d’Henri IV était très réduit. Il comprenait grosso modo le Louvre, l’île de la Cité et ses alentours proches. Ainsi, la place Vendôme au XVIe siècle ne faisait-elle pas encore partie de Paris. Ce sont les plans d’urbanisme de Jules Ardouin Mansard, vers 1685, sous Louis XIV, qui furent à l’origine de la destruction de l’hôtel de Vendôme et de son remplacement par une majestueuse place facilitant les déplacements entre le coeur de Paris et ses faubourgs. Précisons à toute fin utile que la branche des Vendôme d’une part s’est éteinte au XVIIe siècle sous Louis XIV et d’autre part que le dernier Duc de Vendôme avait vendu son hôtel au roi Soleil.

Louis XIV détestait les petites rues étriquées parisiennes et profitait de chaque occasion pour aménager de grands espaces. L’Etat avait alors pour objectif d’installer place Vendôme ses ministères. Notons ici que bien qu’ayant fait détruire l’hôtel de Vendôme, le lieu a conservé le nom de la branche «illégitime».

Mansard avait dessiné la place avec ces arcades que l’on retrouve encore aujourd’hui. L’architecture et la symétrie tenant à coeur aux pères de la place. Néanmoins, ce pharaonique projet immobilier coûtant trop cher à la monarchie, il a été décidé de faire de la promotion immobilière.

En 1699, devenu privé, le projet offre à la vente les emplacements, sous réserve que les acquéreurs respectent les plans initiaux. À cette époque, la place reste fermée au niveau de la rue de la Paix par l’église des Capucines, autrefois mitoyenne du couvent des Capucines qui sera quant à lui détruit.

C’est là notamment qu’est enterrée l’ancienne reine de France, épouse d’Henri III: Louise de Lorraine. Une statue de Louis XIV orne le centre de la place Vendôme. Ce n’est qu’à la Révolution que ce monument sera détruit. A la mort de Louis XIV, le régent, le duc d’Orléans, mène une vie de débauches, de fêtes…

Les riches Parisiens achètent plusieurs arcades de la place pour s’y installer. Crozat est de ceux-là, comme les frères Paris du Verney. Le Duc d’Orléans offre à ses maîtresses ainsi qu’à ses amis des morceaux d’hôtels. Le climat est à la spéculation financière.

Madame de Parabère vit là où est installé maintenant Van Cleef & Arpels, le Duc de Gramont est «au Ritz» et le Comte de Beaucé dans l’immeuble de Boucheron. La place Vendôme reste un lieu résidentiel où on donne de somptueuses fêtes, parfois très libertines…

Plus d’un hôtel particulier de la place est alors le théatre d’orgies assez amusantes. On raconte que le régent et sa maîtresse cuisinaient eux-mêmes, dans l’intimité, ne laissant pas au personnel l’occasion d’assister aux scènes érotiques qui s’en suivaient. Ainsi, jusqu’au début du règne de Louis XV, la place Vendôme ne proposait aucun commerce. On la comparerait aujourd’hui à l’avenue Foch. Ce sont plus des financiers que des anciennes familles de l’aristocratie qui y résident.

Sous Louis XV, la place Vendôme ne vit pas d’évolution particulière, en fait c’est à la Révolution que ce lieu entamera sa nouvelle vie. Désaffectés et pillés pendant la Révolution, les hôtels sont vides. Mais surtout, c’est l’Eglise des Capucines qui est mise à sac.

Alors que personne ne sait plus quoi en faire, Napoléon décidera de la faire détruire pour créer un passage vers la rue de la Paix. De lieu clos, où on vivait entre soi, la place devient un lieu de passage, idéal donc pour y installer des commerces.

La place Vendôme, en forme de cloche, où ne vivaient que des privilégiés, éclate par le nord. Problème: il faut récupérer la tombe de Louise de Lorraine et la rappatrier à Saint-Denis. C’est, puisque la Révolution a vandalisé la cathédrale de Saint-Denis et l’a vidée de tous les restes des précédents monarques, finalement la seule reine de France dont le corps soit enterré là.

Mais si le tombeau de Louise de Lorraine, sous le coeur de l’Eglise, a été facile à retrouver, un autre personnage historique était enterré dans l’Eglise des Capucines, et pas des moindres: la Pompadour. Cette femme très élégante, au goût parfait, a été le grand amour de Louis XV.

Friande d’objets précieux, dont les bijoux, elle joue un rôle de mécène à la cour de Louis XV. Par ses achats, elle fait vivre le commerce de luxe parisien. Pour l’anecdote, c’est son frère, le marquis de Marigny, qui fait construire le palais de l’Elysée.

Quant la Pompadour meurt, son statut de favorite l’empêche d’avoir des funérailles grandioses, ses amis, qui ont un caveau dans l’église des Capucines, récupèrent le corps et proposent d’y faire sa sépulture. Louise de Lorraine était une reine de France, on a transféré son corps, mais celui de la Pompadour… est resté sur place.

On l’imagine aujourd’hui sous les pavés qui bordent les boutiques Louis Vuitton et Bulgari. Le fantôme de la marraine du luxe parisien veille!

Le premier joaillier à s’être installé dans le quartier c’est Mellerio dits Mellers, en 1809. Mais il est rue de la Paix. Sur la place, la statue de Louis XIV a été remplacée par une colonne à la gloire de Napoléon. Et si la Restauration ne l’a pas supprimée, c’est uniquement en raison du prix que cela aurait coûté.

Les joailliers ne sont donc pas encore sur la place, ils lui préfèrent le bien nommé Quai des Orfèvres ou l’île de la Cité.

Beaucoup d’hôtels en revanche se sont installés pour recevoir les riches voyageurs en villégiature à Paris. Même si leurs emplacements ont bougé au fil du temps, le concept de s’installer place Vendôme fait rêver les touristes. Néanmoins, c’est encore la rue de la Paix, la rue «commerçante».

Grâce à Napoléon et à sa politique somptuaire, le luxe parisien renaît des cendres de la Révolution. C’est l’époque où Chopin habite place Vendôme, dans l’actuel boutique Chaumet, il y mourra d’ailleurs! Sa voisine, la Comtesse de Montijo, dont le nom peut-être ne vous évoque rien est pourtant la mère d’une certaine Eugénie… qui épousera Napoléon III[1]. Eugénie, comme sa mère, habitait place Vendôme. C’est le lieu où veulent séjourner les étrangers fortunés en séjour à Paris.

Autre personnage digne de romans, la Castiglione, prend ses appartements dans l’hôtel particulier qui deviendra le siège de Boucheron. Si les touristes viennent poser leurs valises place Vendôme c’est aussi parce que rue de Castiglione a ouvert la première agence de voyage de Paris.

Ce qui va tout changer, pour l’avenir de la place Vendôme, c’est la création de l’Opéra de Paris, en 1875. Désormais, l’ensemble est cohérent, entre les beaux hôtels, le shopping rue de la Paix et les soirées à l’Opéra. Les Américains considèrent alors Paris comme un lieu de savoir vivre où dépenser son argent.

Quelques années plus tard, vers 1897/1898, César Ritz ouvre son hôtel: le Ritz. C’est un contemporain de Frédéric Boucheron qui s’installe, lui, au 26 place Vendôme, en 1893, malgré la présence d’une drôle de locataire: la Castiglione.

Ses clients séjournent au Ritz et n’ont qu’à traverser la rue pour découvrir ses créations. Effectivement, Frédéric Boucheron est donc bien, le premier joaillier, à s’être installé place Vendôme, et «au meilleur endroit» puisque c’est lui qui bénéficie de la meilleure exposition et de la plus jolie vue, ayant la colonne au premier plan et le jardin des Tuileries au second.

Au XXe siècle, tous les grands noms de la joaillerie ou presque suivront Boucheron et s’installeront, au fil des disponibilités, sur la place.

Question: que fait encore le ministère de la Justice ici, il occupe un immense espace sans apporter grand-chose. Il ferait un hôtel somptueux!

Revenons un moment sur la «locataire» de Frédéric Boucheron… La Castiglione est une femme de l’aristocratie italienne, sans doute une espionne à la solde du gouvernement italien, censée épier Napoléon. Loin des «cocottes» qui remontent le courant pour devenir des femmes du monde, ce serait plutôt l’inverse. C’est une femme du monde, une aristocrate, qui deviendra une cocotte. Devenue grosse et laide au fil des ans, elle est surtout un peu folle. Elle vit dans l’entresol de la boutique Boucheron, dort le jour et sort la nuit. Des nuits qu’elle passe à arpenter le quartier, seule.

Les histoires et les légendes sur la place Vendôme mériteraient un livre! Le Maharadjah de Patiala, par exemple, il est arrivé place Vendôme en 1923 avec douze gardes portant six caisses, en rang, deux par deux, ils forment le plus précieux convoi que la joaillerie ait jamais vue. Chaque binôme est chargé d’une malle remplie d’émeraudes. Ils sont entrés chez Boucheron, ont ouvert les coffres et passé la plus grosse commande de l’histoire de la place Vendôme. En fait, le maharadjah voulait faire monter ses émeraudes, presque plus pour les ranger et les protéger les unes des autres. Personne ne sait s’il les a jamais porté! A la même époque et lors du même séjour, Cartier reçoit le maharadjah au 13 rue de la Paix et lui crée un spectaculaire collier de diamants. Reverra-t-on des commandes de cet ordre, un jour, place Vendôme?

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