L’islam et les musulmans d’aujourd’hui de Pierre Rondot (1958)

En 1958, un livre évoquait déjà le jihad et l’Etat islamique. Ecrit par un militaire français qui fut aussi professeur, l’ouvrage s’avère prémonitoire sur plusieurs sujets.

Le papier est épais comme du buvard. Les couleurs de la couverture ne sont plus qu’un souvenir. Et pourtant ce livre, publié en 1958, est d’une rare modernité. Allah, Mahomet, le Coran, le califat, le jihad et même l’Etat islamique : en près de 400 pages, l’ouvrage L’Islam et les Musulmans d’aujourd’hui évoque plusieurs sujets qui font les grands titres de l’actualité de notre monde en 2014.

L’auteur a pour nom Pierre Rondot. Après Saint-Cyr en 1922, il est parvenu au grade de général. Etonnant militaire, qui fut aussi sociologue, professeur, analyste… et accessoirement créateur des services secrets français au Proche-Orient.

Sur le “djihad”
“La racine ‘djhd’, qui est à l’origine du mot ‘djihad’, apparaît d’abord dans le texte [du Coran] avec le sens de ‘faire effort’ : l’étymologie est à retenir, car elle permettra ultérieurement des interprétations moins étroitement guerrières.” L’auteur de ces lignes maîtrisait parfaitement la langue arabe. Son érudition éclaire les conflits armés dont nous parlons désormais si souvent. Ainsi, il poursuit : “Le djihad apparaît donc comme l’effort pour promouvoir sur toute la Terre les droits de Dieu”. Et Pierre Rondot en vient à ce que connaissons désormais : “A l’époque moderne, en fonction des nombreux soulèvements de forme diverse, qui par le monde dressent des musulmans contre la domination de l’influence occidentale, la notion de guerre sainte a repris une vive actualité.”

Et l’on apprend qu’une guerre sainte a déjà été proclamée au début du XXe siècle. Le sultan de l’Empire ottoman, également calife (successeur de Mahomet en tant que dirigeant de tous les musulmans), a déclaré, en 1914, que la Russie, la France et le Royaume-Uni étaient les ennemis mortels de l’islam. Le jihad, qui constitue d’abord un “devoir religieux” pour les musulmans, peut donc aussi se traduire par l’usage des armes. Et l’auteur est formel : la guerre sainte doit être “surveillée et dirigée par un souverain musulman ou par un imam” . Cent pages plus loin, apparaît cette organisation qui fait, en 2014, la une des médias : l’Etat islamique.

Sur “l’Etat islamique”
Qui donc a pensé, ou commencé à mettre en place, l’Etat islamique ? Pierre Rondot évoque l’histoire de l’association des Frères musulmans, apparue en Egypte dans les années 1920. Avec leur fondateur, le cheikh Hassan Al-Banna, ils ont un moment songé à s’emparer du pouvoir avec la devise suivante : “Allah est notre idéal, le prophète est notre chef, le Coran est notre Constitution.”

La question de la forme d’un Etat islamique s’est donc déjà bel et bien posée, et ses bases, précise l’auteur, “sont celles de la loi musulmane.” Comment fonctionne-t-il ? Comment s’exerce le pouvoir ? Pierre Rondot constate que sur tous ces points, les débats font rage. Au Pakistan, les théories sur l’Etat islamique sont à ses yeux les plus nombreuses et les plus tranchées. Certains préconisent le rejet de la démocratie au profit d’un Etat théocratique. Pour d’autres, il ne fait aucun doute qu’un tel Etat ne saurait se réduire à une simple unité géographique ou raciale. Mais qui en serait le chef ?

Sur le “calife”
Pierre Rondot rappelle que “Mahomet, fondateur d’Etat et dépourvu d’héritier mâle, pour des raisons mystérieuses… n’a pris aucune précaution humaine pour assurer la continuité de l’Etat”. Aussi, remarque l’auteur : “Depuis sa mort en 632, les factions rivalisent et s’affrontent pour la désignation d’un calife.” Et de passer en revue une galerie de personnages illustres, califes à leur tour : Abou Bakr “le continuateur”, Omar “le véritable fondateur de l’Etat islamique”, Othman “qui déçoit et sera assassiné”, Ali “dont les luttes intestines lui coûteront la vie…” Verdict de l’auteur : il “n’est point aisé d’établir une théorie du califat”.

Le califat a désormais disparu, affirme le militaire-analyste, mais il précise : “L’ordre de Dieu pour l’établissement d’une autorité centrale de la politique musulmane existe toujours… Un Etat islamique ne manquera pas de collaborer avec d’autres Etats et organisations telles que l’ONU.”

De fait, Pierre Rondot ne semble pas avoir pressenti les extrêmes violences que nous connaissons aujourd’hui. Il est vrai que son recueil baigne dans une humilité et un respect qui empêchaient peut-être d’envisager le pire.

Source

Related Articles