Nous avons tous ri aux pièces de Molière, en tête quelque réplique et connaissance de sa mort légendaire. Beaucoup d’études érudites ont décortiqué sa méthode théâtrale et théorisé son savoir-faire. Il faut pourtant rendre hommage à l’homme. Et quel homme ! Tout à son Art, tout pour son Art. Ainsi pourrait-on résumer la vie de Molière. De ceux qui piétinent, par leur trajectoire magnifique, la phrase de Talleyrand : « tout ce qui est excessif est insignifiant », le diable diplomate d’un siècle fait de bassesses et de trahisons.
Molière est un être de chair et d’esprit. Un chef de troupe, un Directeur de théâtre, habile face à un Roy de France exigeant. Un amoureux de la vie et des femmes.
Mais aussi un torturé, un perfectionniste, un insatisfait d’une exigence radicale pour lui-même et pour sa troupe (« Un artiste ne doit jamais sortir de son obsession »).
Et toujours un homme juste, résumant sa ligne de conduite dans le Misanthrope par ce propos : « Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur, On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur. » Ceci malgré les trahisons des amis et les feux de la critique jalouse.
Enfin, extatique lorsqu’il se réalise dans son œuvre. Francis Perrin lui fait dire « Divin moment où le plaisir absolu s’est substitué à l’angoisse et où il est inutile d’inventer des machines pour voler. » Ou encore « Je me sens inébranlable sur ces planches ; mon âme est à l’unisson de mon corps. »
Les éditions Mon Poche, nouvelle collection pour un nouvel éditeur, réédite donc un superbe livre (récit romanesque paru auparavant chez Plon) dont on déguste la beauté de la langue avec gourmandise. Formidable façon de mettre en scène la vie de Molière dans son quotidien de chef de théâtre, entrepreneur aux prises avec mille tracas, meneur d’hommes et amoureux compliqué. Qui de mieux placé que cet homme des planches de la Comédie-Française pour décrire cet esprit de corps qui habite une troupe, mais aussi ses dissensions, ses gloires et ses malheurs ? Les dévoués La Grange et La Forest sont dépeints avec délicatesse, les femmes avec douceur. Dans le ton du caractère de Molière finalement. On y comprend mieux comment et pour quelles raisons Molière a eu une œuvre inégale notamment du fait de commandes royales parfois exigées dans la précipitation. On saisit comment certains de ses rôles ont été taillés sur mesure pour ses acteurs qu’il voulait sublimer. La méthode d’écriture idéale pour incarner l’œuvre de l’homme habité par son œuvre, à qui il fait dire avant de mourir « je n’ai été qu’amour, amour du théâtre, amour de la vie, amour des femmes, amour de ma troupe, je les ai aimés du plus profond de mon être. »
Nous tombons aussi littéralement amoureux de ce verbe incarné dans une figure humaine si humble et si grande. Le génie de Molière est éternel tant il nous est proche.
Sigisbert Clément – Présent
Francis Perrin, Molière chef de troupe, Editions Mon Poche, 2018, 8,50 euros, 473 pages.