Le tribunal compétent pour juger de l’affaire que nous allons évoquer est la cour du consistoire de l’Eglise d’Angleterre, la Church of England’s Consistory Court, à qui revient de déterminer ce qui peut ou ne peut pas figurer sur les pierres tombales des cimetières tombant sous sa juridiction : en l’occurrence, un lieu de sépulture du XIIe siècle jouxtant une petite église de campagne, St Oswald’s à Dean, dans le comté de Cumbria. Saisi d’une demande en vue de faire graver des symboles maçonniques sur la tombe d’un grand maître provincial, William Kenneth Wilson, le juge britannique a tiré argument de l’incompatibilité de la foi chrétienne et de la maçonnerie pour rejeter la requête.
Celle-ci émanait de Dorothy Stubbs, nièce du défunt mort en 2012 après quarante ans d’engagement maçonnique qui l’avait mené à un haut degré d’initiation : Wilson avait même représenté le Royaume-Uni lors d’événements officiels sur place et à l’étranger.
Dorothy Stubbs souhaitait faire graver le symbole du compas et de l’équerre sur la pierre tombale de son oncle, et le conseil paroissial de St Oswald’s n’y voyait pas d’inconvénient. Mais Geoffroy Tatterstall, chancelier du diocèse anglican de Carlisle, l’a refusé en sa qualité de juge de la cour du consistoire, affirmant que l’initiative était « dommageable » et « inappropriée ».
Cela ne manque pas de sel de la part d’un juge des affaires religieuses dans un pays dont la religion officielle a pour chef la reine d’Angleterre, alors que le propre cousin d’Elizabeth II, le duc de Kent, est le Grand-Maître des francs-maçons britanniques…
Mais la décision du juge Tatterstall s’appuie sur un rapport débattu en 1987 par le Synode général de l’Eglise d’Angleterre : Franc-maçonnerie et christianisme sont-ils compatibles ?
D’après ce rapport, a-t-il souligné, « Il est clair que certains chrétiens ont trouvé troublant l’impact des rituels maçonniques et quelques-uns les perçoivent comme étant positivement mauvais ». Il précise : « Certains estimaient que les rituels étaient blasphématoires parce que le nom de Dieu ne doit pas être prononcé en vain, et qu’il ne doit pas être remplacé par un amalgame des noms de divinités païennes. »
La principale objection théologique du Synode de 1987 visait ainsi l’utilisation par les francs-maçons du mot « Jabulon » pour désigner l’Etre Suprême dans les rites maçonniques, constitué par un amalgame des mots qui désignent Dieu en sémitique, hébreu et égyptien.
Rejetant les arguments de Mme Stubbs et du Grand-Maître provincial de Cumberland et Westmorland, qui évoquaient notamment la présence de symboles maçonniques sur de nombreuses tombes de la région, le chancelier Tatterstall a rappelé qu’une « appréciable majorité » avait décidé lors du Synode de 1987 que nombre de raisons « très fondamentales » permettaient de remettre en question la compatibilité du christianisme avec la maçonnerie, une approche partagée par d’autres dénominations chrétiennes, a-t-il rappelé.
Si les pierres tombales peuvent comporter des symboles rappelant la vie, l’œuvre, le travail ou les centres d’intérêt du défunt, a-t-il conclu, « ceux-ci doivent être entièrement compatibles avec la foi chrétienne. Eu égard à la controverse relative à la franc-maçonnerie je crois qu’il serait dommageable pour le cimetière et inapproprié de laisser ajouter un symbole aussi controversé que celui envisagé par la demanderesse au mémorial existant du défunt. Il s’ensuit que je rejette la requête de la demanderesse. »