Images d’Art, l’inutile néogadget de Fleur du Mal!

Chapeau l’artiste ! Lancer un site internet qui existe déjà, sous une forme un peu différente mais moins riche, et communiquer sur sa nouveauté, son caractère « innovant », « universel », et sa contribution éminente au « rayonnement de la France dans le monde », c’est l’exploit que vient d’accomplir Fleur Pellerin, avec une certaine réussite, il faut l’avouer, puisqu’à de rares exceptions, plusieurs articles sur le web reprennent les éléments de langage d’auto-promotion du ministère de la Culture.Le site, c’est celui de la base photographique de la Réunion des Musées Nationaux. Il y a longtemps que celui-ci existe et propose aux internautes un nombre impressionnant de photographies d’œuvres d’art des musées français et parfois aussi de musées étrangers. Il y a plus d’un an, ce portail avait subi une refonte comportant quelques bugs, mais ceux-ci semblent réparés, avec des fonctionnalités plutôt ergonomiques.
Pourquoi, alors, créer un nouveau site (« Images d’Art ») comprenant à peu près les mêmes fonctionnalités ? On peut, légitimement, se poser la question lorsque l’on compare les deux…

– Chaque site permet de faire une recherche sur un terme générique mais le site Photo RMN propose également une recherche avancée, ce que n’autorise pas Images-art.

– Chaque site donne les résultats sous la forme d’une mosaïque d’images, la seule différence entre les deux étant la taille des vignettes, plus grande pour Images-art que pour Photo RMN (ce qui n’est pas forcément plus pratique car on voit moins d’images sur l’écran et le choix est donc moins facile).

– Sur chaque site, les résultats d’une recherche peuvent être affinés en cliquant, à gauche de l’écran, sur des critères classés par catégorie : auteur, période, localisation, technique. Le site Photo RMN rajoute un critère format (horizontal, vertical, carré) pas forcément indispensable, tandis qu’Images-art propose un critère « couleur » dont nous ne voyons pas l’utilité et qui ne fonctionne d’ailleurs pas.

– Sur chaque site, on peut créer un ou plusieurs albums qui permettent de retrouver, lors d’une consultation ultérieure, les images que l’on a choisies.

– Sur le site Images d’Art, des images sont proposées de manière qui semble aléatoire, avant toute recherche, ce qui constitue une porte d’entrée pour l’amateur qui veut simplement se promener sans savoir ce qu’il cherche. Ceci est également possible sur le site Photo RMN, mais à partir d’albums déterminés par sujet et à l’arborescence simple.

On voit donc qu’en réalité il s’agit à peu près de la même chose ! Mieux encore, le site Photo RMN offre de nombreux avantages par rapport à l’autre :

– il est beaucoup plus riche (850 000 images contre 500 000),

– il est plus précis ; un seul exemple, en tapant « Ingres » :
* outre que pour Photo RMN on compte 980 images, et pour Images-art seulement 560, le premier permet immédiatement de trouver les photographies concernant uniquement des œuvres d’Ingres (lorsque l’on clique la première image marquée « Jean-Dominique Ingres », on obtient toutes les œuvres créées par Ingres), ce qui n’est pas possible avec le second,
* les critères permettant d’affiner la recherche à gauche de l’écran proposent, pour Images-art, « 17e siècle » ! Et si l’on clique dessus, les trois images retenues sont : Le bain turc, dessin anonyme daté de 1862 et sans aucun rapport avec Ingres, sinon le titre, L’Allégorie de l’Espérance chrétienne, tableau attribué à Bartolomeo Schedone mais conservé… au Musée Ingres de Montauban, et Audience aux ambassadeurs de Siam, almanach édité chez François Jollain…

– il permet, grâce à des mots clés, de rebondir d’une image à l’autre. Ainsi, si l’on choisit la Grande Odalisque d’Ingres, le site Images d’art propose des « œuvres suggérées » selon des critères pas toujours clairs, tandis que Photo RMN propose les mots clés suivants : dos, éventail, nu féminin, odalisque, Orientalisme (art), sensualité, turban, ce qui nous semble beaucoup plus pertinent.

Le seul véritable avantage du site Images-art par rapport à Photo RMN relève du gadget : le partage de l’image sur Facebook et Twitter. Pourquoi seulement Facebook et Twitter, et pas les autres réseaux sociaux ? C’est la (bonne) question que pose un article que vient de publier un contributeur Wikipedia. L’auteur de celui-ci, Sylvain Machefert, souligne par ailleurs à raison que le site – il partage en cela le défaut de Photo RMN – ne propose qu’une basse définition des images (bien moins bonne que Wikipedia). Si celles-ci restent suffisantes pour un écran, il est impossible de zoomer dans les détails. On comprend d’ailleurs pourquoi : comme pour la base Photo RMN, qui a au départ pour objectif de commercialiser les photos, le site Images-art, pourtant vanté par Fleur Pellerin, se prévaut lui aussi d’un droit d’auteur sur des photos dont une grande partie représente pourtant des œuvres du domaine public ! Une pratique qu’un récent rapport parlementaire qualifiait de « copyfraud »  et qui est donc vantée par la ministre de la Culture !

Signalons enfin que le site propose une API, c’est-à-dire qu’il met à disposition des informaticiens l’ensemble des images et données qu’il contient. Sauf que cette interface de programmation est en réalité celle de la base Photo RMN et qu’elle ne peut donc être mise au crédit du nouveau site. Plus gênant encore : Sylvain Machefert cite ici Lionel Maurel, un spécialiste du droit d’auteur très actif sur internet, qui fait remarquer que les conditions générales d’utilisation de cette API sont tellement drastiques qu’elles interdisent les extractions substantielles des données et métadonnées, alors que c’est pourtant justement leur but !

Il est donc évidemment préférable de consulter le site Photo RMN plutôt qu’Images d’Art. Mais aux lecteurs, nous donnerons surtout le conseil suivant : utilisez le moteur de recherche « Collections », du site Culture.fr, qui est en réalité ce qu’on appelle un « méta-moteur » qui va rechercher les images dans plusieurs bases de données du ministère de la Culture, notamment Photo RMN, mais aussi la base Atlas du Louvre, la base Joconde, la base Palissy, la base Mérimée, la base MNR, etc., etc. Preuve que le ministère de la Culture peut également produire d’excellents outils, ce moteur « Collection » permet depuis de nombreuses années de trouver facilement beaucoup plus d’informations et d’images que ce que le site Images-art propose aujourd’hui. Il est curieux que Fleur Pellerin, qui se pique de numérique, ne le sache pas.

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