Le secteur de l’hôtellerie-restauration embauche mais attire peu. Pour les jeunes migrants mineurs en revanche, ces métiers sont une voie d’intégration privilégiée.
Kaba Comdé se rêvait footballeur quand il a quitté la Guinée il y a 4 ans, mais il mène une toute autre carrière. Le jeune homme de 19 ans est au centre de formation de Tours, non pas celui du Tours Football Club mais des apprentis (CFA), situé dans une zone pavillonnaire tranquille du nord de la ville. Comme lui, 84 jeunes étrangers — sur 889 élèves — s’y forment aux métiers de l’hôtellerie-restauration. Tous ont un passé compliqué, marqué par le déracinement et la quête d’un avenir meilleur en Europe. Leur autre point commun tient en trois lettres : « MIE » pour « mineurs, isolés, étrangers ». Ce statut leur a ouvert les portes de la formation en apprentissage et garanti un revenu en peu de temps. Une fois reconnus mineurs isolés, les migrants sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui leur assure gîte et couvert et les aide à trouver une formation, condition de l’obtention d’une carte de séjour pour ceux qui ont plus de 16 ans. Selon l’association InfoMIE, qui épaule ces jeunes souvent peu au fait de leurs droits, 8000 mineurs isolés étrangers sont actuellement reconnus en France.
« La restauration, c’est l’assurance de trouver du boulot »
« Les MIE sont orientés en priorité vers des formations courtes où des places sont encore disponibles », écrit l’association France terre d’asile. La restauration y occupe une place de choix, Kaba le confirme : « L’ASE m’a dit que la restauration, c’était l’assurance de trouver du boulot. » En 2016, selon l’enquête annuelle de Pôle Emploi sur les besoins en main d’œuvre des entreprises, l’hôtellerie-restauration recherchait 75 000 serveurs et 70 000 apprentis et employés de cuisine, se classant en deuxième position des projets de recrutement, juste derrière le bâtiment. Un secteur qui recrute, une formation qui peut-être assurée rapidement : l’hôtellerie-restauration est une source d’intégration pour les jeunes migrants mineurs arrivés en France. « Sans l’ASE et le CFA, je ne sais pas ce que je ferais aujourd’hui », assure Hafiz Muhammad, un camarade de classe de Kaba. Avant d’arriver en France et d’être pris en charge par l’ASE, il a dû affronter les périls de l’émigration. Kaba, lui, a quitté son pays d’origine il y a quatre ans. Orphelin, il ne se voyait aucun avenir à Conakry, la capitale de la Guinée. Un pécule collecté par ses proches à la mort de sa mère lui a permis de payer les transports jusqu’au Maghreb et les 200 euros demandés par le passeur. Après quatre mois en camp pour mineurs à Melilla, il a pris le bateau pour le continent européen avant de monter dans un bus vers la France. Puis il a atterri à Tours, sur les conseils du chauffeur. « Il m’a dit que c’était une ville plus tranquille que la capitale », se souvient-t-il.
« Les migrations se font de plus en plus jeunes », explique une juriste de la Cimade, association qui œuvre à l’accueil et à l’assistance des migrants. Le statut MIE facilite l’accès au marché du travail pour les étrangers, car pour recruter un étranger majeur, l’employeur doit prouver qu’il a passé une annonce depuis 8 mois et qu’aucun candidat français ne convenait pour le poste. « Les migrants ont compris l’intérêt de se faire reconnaître mineurs par l’ASE pour pouvoir travailler et gagner leur vie rapidement », poursuit la juriste. S’ils sont pris en charge par l’ASE avant 16 ans, les mineurs étrangers obtiennent une carte de séjour renouvelable jusqu’à l’obtention de la nationalité. Depuis le 15 février dernier, sur ordonnance du Conseil d’état, ceux qui ont plus de 16 ans accèdent directement au titre de séjour en signant un contrat d’apprentissage. Un vrai gage d’intégration pour les MIE. Avant d’en arriver là, les jeunes migrants ont tous eu leur lot de galères administratives. « La dame de l’ASE n’a pas été très sympa à mon arrivée à Tours », se souvient Kaba Comdé. « Elle voulait être sûre que j’étais bien mineur. J’ai été logé pendant un mois dans un hôtel sans avoir aucune nouvelle de ma situation », relate le jeune homme. Ses papiers d’identité ont été analysés par le Conseil général, qui n’a détecté aucune fraude. L’isolement familial étant un critère essentiel, le fait qu’il soit orphelin a également joué en sa faveur. Pour obtenir le statut « MIE », il lui a aussi fallu insister sur son envie de travailler.
Les professionnels convaincus de l’apport positif des jeunes migrants
Le milieu de l’hôtellerie-restauration voit d’un bon oeil l’arrivée des jeunes migrants. Xavier Aubrun, figure de la restauration tourangelle, a longtemps été aux fourneaux d’un restaurant étoilé avant de reprendre un bistrot du centre-ville. Il y a 5 ans, il peinait à trouver du personnel quand l’association France terre d’asile a frappé à sa porte pour lui présenter un apprenti. « De moins en moins de gens veulent faire nos métiers, et je peux le comprendre. C’est un travail exigeant, physique, aux horaires souvent compliqués », explique cet homme volubile. Il y a 10 ans, il n’aurait jamais songé à embaucher un étranger. « Les jeunes migrants m’ont enlevé une épine du pied quand je ne trouvais pas de personnel, insiste le chef, 8 migrants ont fait leur apprentissage chez moi depuis 5 ans, et tous on fait du bon boulot. » Xavier Aubrun reçoit des nouvelles régulières de ses apprentis étrangers, qui sont tous restés dans le métier. « J’ai un ancien qui est chef de rang dans la salle d’un grand restaurant bordelais », pointe le quinquagénaire avec fierté. « Les jeunes étrangers sont souvent plus appliqués et compensent leurs lacunes initiales en français par une excellente mémoire visuelle », explique Xavier Aubrun. Un constat partagé par Emmanuel Rocher, coordinateur pédagogique de la filière cuisine du CFA de Tours. De grands yeux, les dents du bonheur et une poignée de main ferme, cet homme avenant considère les jeunes migrants comme une bouffée d’air frais dans des métiers souvent considérés comme une voie de garage pour élèves en échec. Il hésite avant de lâcher: « Ce n’est peut-être pas très bien vu de le dire, mais nos jeunes migrants sont souvent plus bosseurs que les jeunes toubabs (surnom donné aux blancs en Afrique). Ils tirent tout le monde vers le haut. »
Un jour, j’ouvrirai mon restaurant
Ce lundi 13 janvier, Kaba et les autres deuxième année de CAP cuisine reviennent de trois semaines en entreprise. Grégory Ballat, professeur de cuisine, tente de canaliser la fougue des apprentis, qui s’installent dans un joyeux brouhaha. La récente déroute du Paris Saint-Germain face à Barcelone anime la conversation, les blagues fusent. Le calme revenu, un tour des tables commence. Chacun fait le bilan des trois semaines écoulées chez son employeur. Sur les 15 élèves qui s’expriment, 7 sont étrangers. Ils viennent de Guinée, du Bengladesh, du Cameroun, d’Albanie et du Mali. Certains sont déjà majeurs, mais tous sont arrivés au CFA lorsqu’ils étaient mineurs. « Ces jeunes se cherchent un avenir. Au CFA, on les aide comme on peut », commente Grégory Ballat. Dans la classe de Kaba, Hafiz Muhammad est le meilleur élément aux dires de ses professeurs. Arrivé seul en France du Bengladesh, il a découvert la cuisine après une première tentative d’apprentissage infructueuse dans l’aide aux personnes. Son métier lui plaît. « Un jour j’ouvrirai mon propre restaurant », assure-t-il même. Kaba aussi est heureux de sa situation. « Ma patronne me considère un peu comme son fils, et mes horaires me permettent de jouer au foot comme j’en ai envie. » raconte avec le sourire aux lèvres cet excellent joueur de niveau régional, pour qui la cuisine est moins une passion que l’assurance d’un revenu fixe. Dans 3 mois, Hafiz et Kaba tenteront de valider leur CAP cuisine, confortant ainsi leur intégration professionnelle et la possibilité d’obtenir, à terme, la nationalité française.
« Dans la profession, ce n’est plus un tabou de faire travailler les étrangers » assure Xavier Aubrun. « Sauf bien sûr quand il s’agit de travailleurs non déclarés », précise-t-il, mettant en avant une pratique encore répandue dans ces métiers. En novembre 2015, Gil Galasso, couronné meilleur maître d’hôtel de France en 2003, avait pris position en faveur du travail des migrants. Pendant une semaine, dans un cabanon de fortune protégé par des bâches, ce petit-fils d’immigré italien avait transmis son savoir à cinq hommes de la jungle de Calais. « Il y avait deux Soudanais, un Afghan, un Iranien et un Kosovar. Je faisais cours en anglais, l’un des Soudanais traduisait en arabe » raconte Gil Galasso, ému. « Je me suis senti utile en leur transmettant mon savoir. Ils parlent plusieurs langues et sont très motivés. C’est une vraie chance pour la restauration, qui manque cruellement de main d’oeuvre. » Xavier Aubrun va plus loin encore: « Dans quelques années, des jeunes migrants deviendront de grands chefs étoilés, j’en suis certain. »