Le dynamitage spectaculaire des temples de Palmyre mis en scène par l’organisation État islamique a frappé les esprits. Opération de propagande certes, mais également rideau de fumée selon l’analyse délivrée par l’archéologue Johanne Farchakh à The Independent (3 septembre 2015). Détruire ces monuments relèverait d’une stratégie de dissimulation visant à masquer les preuves du pillage des reliques arrachées aux sites.
Car l’hypocrisie de Daesh règne en maître. Loin de son discours rigoriste exécrant l’idolâtrie, l’organisation procède à une razzia systématique de toute antiquité sur les plus de 2 000 sites archéologiques qu’elle contrôle. Plus inquiétant, depuis que la coalition cible les installations pétrolières, ce pillage serait mené à une échelle industrielle avec un professionnalisme croissant.
Une institutionnalisation des pillages
Dans certaines localités, les islamistes sous-traitent les fouilles sauvages à des concessionnaires habilités moyennant une taxe de 20%. Ailleurs, ils engagent leurs propres équipes d’archéologues dotés de machines d’excavation. Parallèlement, les intermédiaires et marchands sont davantage contrôlés tandis que les islamistes s’impliquent directement dans la commercialisation, traquant sur internet toute information susceptible de valoriser leurs trouvailles. L’enjeu est de taille, entre 6 et 8 milliards d’euros selon la CIA.
Un marché européen qui s’ouvre vers l’Est
L’acheminement des pièces vers les marchés occidentaux s’effectue suivant des filières connues. Les objets sont convoyés dans les pays limitrophes Liban, Jordanie mais surtout Turquie, devenue la plaque-tournante pour l’Europe. Puis des mafias locales se chargent de les faire entrer frauduleusement dans l’Union européenne à destination des pays acheteurs, principalement l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni.
À Londres, l’archéologue Mark Altaweel, mandaté par le Guardian pour faire un tour des antiquaires, n’a eu aucune difficulté à repérer des poteries, statuettes et pièces de verrerie hautement suspectes dans les vitrines des galeries spécialisées.
À Paris, l’offre est plus discrète mais pas moins abondante pour l’amateur avisé qui sait quelles portes pousser du côté des professionnels.
Échappent également à tout contrôle les transactions sur différents sites web de commerce, tel Ebay où il est possible de vendre ou acheter des pièces de monnaie, bijoux et céramiques d’origine syrienne.
Aujourd’hui, le marché des antiquités pillées par Daesh a tendance à glisser vers l’est, comme l’observe France Desmarais, directrice à l’ICOM. Les réseaux mafieux expédient les pièces de qualité vers les ports francs de Genève, Dubaï, Singapour ou de Thaïlande. Ces ports francs ont l’avantage d’exempter les marchandises de toute taxe et contrôle douanier. De là, elles sont réexpédiées soit vers les États-Unis ou l’Europe, soit, et de plus en plus, vers les pays du Golfe, le Japon, la Chine ou la Russie où elles sont aspirées dans les collections privées de nouveaux amateurs.
Quel sera donc leur sort lorsque, dans plusieurs années, ces antiquités referont surface sur le marché à l’occasion d’une revente, d’une succession ou d’un legs à un musée ? Reverront-elles un jour leur écrin d’origine dans le désert quand la guerre aura pris fin ? Rien n’est moins sûr.