Par Arnaud Robert
Dans un environnement soumis au règne du béton, du métal et du verre, on oublie parfois que la France est une terre de forêts immémoriales, où certains perçoivent de troublantes forces telluriques, tandis que d’autres entendent le mystère de la Création.
Sait-on que la France est le pays au monde qui compte le plus grand nombre de propriétaires forestiers privés ? Que Chambord, avec ses 32 kilomètres de mur, est le plus vaste parc forestier clos d’Europe ? Qui connaît l’expression le « bat l’eau », lorsque le cerf tente de déjouer la meute en se réfugiant au milieu de l’étang, dans l’espoir de se débarrasser des limiers ? Qui sait qu’il existe encore des droits d’usage comme l’affouage et le ramassage des champignons ou encore que les « pieds corniers » sont des arbres imposants délimitant un espace défendu ?
Les forêts forment des lieux à vocations multiples pour les hommes : lieux de prières païennes ou chrétiennes, lieux de songes poétiques et de méditations personnelles, lieux de ravitaillement domestique (chauffage, nourriture, vêtements), lieux servant de refuge, lieux, aussi, de tragiques batailles et de funestes exécutions…
L’ouvrage du spécialiste de l’histoire de l’environnement Jean-Michel Derex retrace agréablement les différents visages de nos forêts grâce à une douzaine de grands thèmes, tous plus passionnants les uns que les autres : la forêt des dieux et des saints (la forêt sacrée, la sylve comme ascèse, la forêt des abbayes), la forêt en mouvement à travers les âges, le rôle du bois (on relève une intéressante étude sur le flottage) et ses usages (industrie, édification des maisons, marine, chemins de fer, tonnellerie…), les cueillettes (bois mort, feuilles mortes, bruyères et genêts, baies sauvages, champignons), la gestion de la forêt (martelage, allées, bornes, rôle de l’Etat et de la commune), la forêt pour les loisirs (vénerie, tourisme)…
Les derniers chapitres abordent la forêt sous un angle original et historique, la forêt idéologique : le chêne de saint Louis, la forêt de Brocéliande et l’identité française vantée par Barrès, l’insolite chêne du maréchal Pétain, la forêt en armes (la ligne Maginot, Verdun, Compiègne). Est également traitée la « forêt en marge », celle des prêtres réfractaires et de la Contre-Révolution des années 1790, celle des maquisards des années 1940. Enfin, la forêt des mythes et des légendes, avec par exemple la geste arthurienne, Merlin, la fée Viviane ou Perceval le Gallois et celle des contes et fables où vivent Blanche Neige, le Petit Poucet, le Petit Chaperon rouge, le prince charmant ou encore la Bête du Gévaudan…
Un livre érudit et plein de sève, servi par une iconographie feuillue et variée. Comme l’écrivait George Sand : « Tout le monde a donc droit à la beauté et à la poésie de nos forêts, gardons nos forêts, respectons nos grands arbres… ».
• Jean-Michel Derex, La Mémoire des forêts, Ulmer.