Crimes de plume, retour sur l’épuration des écrivains

Ce travail, nombreux étaient ceux qui en rêvaient. Tenter une somme quasi exhaustive des écrivains maudits, de ces perdants qui le temps d’une guerre ont commis l’erreur de tenir la plume trop à droite ou qui n’ont pas su retourner leur veste à temps. Ce Dictionnaire de l’épuration des gens de lettres, Jacques Boncompain l’a écrit.
Archiviste et enquêteur prodigieux, il est allé exhumer des centaines de dossiers d’épuration pour revenir aux faits, aux faits bruts. Entre deux notices d’une précision horlogère, Boncompain nous restitue la violence d’une époque qui prétendait rétablir l’unité nationale en généralisant la suspicion. Les nouveaux mandarins des lettres s’empressaient d’ailleurs de faciliter le travail de basse police pour pouvoir bâtir plus rapidement leur carrière sur la ruine de leurs rivaux. Les aficionados des écrivains de l’époque liront ce lourd dictionnaire avec la même facilité qu’un bon roman tant il est truffé d’anecdotes méconnues et de détails saillants. Les autres pourront y picorer ici et là les notices recherchées, ce dictionnaire étant désormais un indispensable document de travail pour quiconque s’intéresse à la période.

La bêtise qui condamne et fait taire

Quelques critiques ont reproché à Jacques Boncompain quelques traits décochés en direction de De Gaulle ou des zélateurs de l’épuration intellectuelle du céhenné (Comité national des écrivains). Inutile de préciser que nous ne partageons pas leur pruderie. Surtout lorsque l’on constate l’ampleur de leurs « erreurs judiciaires », eux qui inquiétèrent Jean Cocteau pour sa simple amitié avec Arno Breker, Guitry pour n’avoir cessé de déployer son talent dans ces tristes années (voir l’interview de Jacqueline Blancart-Cassou dans Présent du 24 juin) et Claudel pour sa sirupeuse Ode au maréchal Pétain (1941)… qui sera d’ailleurs bien vite renversée par un poème au général De Gaulle en 1944.

Par le voile de honte qui s’est abattu sur eux, de nombreux auteurs sont tombés dans le silence. Les plus chanceux effectuent leur peine dans un purgatoire dont ne les tirent que quelques critiques et lecteurs courageux. Il manque désormais un « dictionnaire amoureux » de ces écrivains que le lecteur d’aujourd’hui méconnaît, un ensemble de portraits qui sache équilibrer leur part d’ombre par celle qui est due à la lumière. Il semblerait qu’une petite équipe y travaille… Souhaitons-leur d’aboutir bien vite.

 

  • Jacques Boncompain, Dictionnaire de l’épuration des gens de lettres (1939-1949), préface d’Henri-Christian Giraud, éditions Honoré Champion.

 

Pierre Saint-Servant  – Présent

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