Et si l’on reparlait des boat people…

Un nouveau débat semble vouloir s’ouvrir à propos des migrants Moyen-Orientaux, pour justifier ou non l’accueil de ces migrants. D’un côté il y a ceux qui disent que, parce que la France s’était mobilisée pour sauver des milliers de boat people, elle ne peut pas faire moins avec les « réfugiés syriens ». De l’autre, il y a ceux qui disent : ah ben non ! Ce n’est pas du tout pareil. Les voilà partis, pour certains, à énumérer les différences, même les plus déroutantes comme : les Vietnamien ne crient pas « Bouddha est grand, » eux. Ça me rappelle un reportage du temps où l’Afrique du Sud se dirigeait vers la fin de l’apartheid. Un Sud-Africain avait répondu à une question du journaliste en lui disant : « Vous voyez bien que nous sommes différents. Regardez-les, ils ont les cheveux crépus et pas nous. Comment voulez-vous que nous vivions côte à côte avec eux ? »

En ramenant le débat des migrants sur le terrain franco-français, on entre dans un domaine parfaitement géré depuis des décennies et où tout le monde est à l’aise. La conscience politique du Français moyen à été cantonnée à sa vie immédiate et à ce qu’il voit, et s’il ne voit rien, on pourra lui montrer ce qu’il doit voir. Pour le reste, c’est une affaire de spécialistes; trop compliqué. Mais le débat sur les nouveaux migrants sort largement du cadre des querelles franco-françaises habituelles. Ce phénomène promet d’avoir des répercussions aussi importantes, sinon plus, que le les boat people.

Pour voir la similitude des deux phénomènes, rappelons quelques faits. À la fin de la guerre du Vietnam, les Américains, en partant, ont évacué tous leurs collabos qui auraient sans doute été massacrés s’ils étaient restés. C’est ainsi à la fin de chaque guerre où l’on sait que les représailles et les vengeances sont la règle. Les Français ont fait de même avec les Harkis d’Algérie pour leur éviter une mort certaine. A la libération, en 1944-1945, si les collabos français avaient pu fuir en masse, ils l’auraient fait, et auraient pu éviter l’épuration que l’on connait. Au Vietnam, étant donné l’intensité de la guerre, les représailles auraient été encore plus féroces. Les Américains ont donc évacué 143 000 personnes, présentées comme des réfugiés fuyant le mal communiste.

Les boat people n’ont commencé que plus tard, après la réunification, et concernaient principalement des commerçants souvent sino-vietnamiens, à cause de la montée des tensions avec la Chine voisine. Les vagues de départ, parfois encouragées, s’intensifièrent avec force publicité, prolongeant la guerre militaire perdue par une guerre médiatique contre le communisme. Les médias de l’époque ne prenaient pas en compte le fait que dans les bateaux de migrants il y avait aussi des Laotiens et des Cambodgiens.

En France, cette guerre médiatique contre le communisme prit une tournure inattendue, mais parfaitement orchestrée. A cette époque, le Parti Communiste Français était puissant et solide. Il soutenait Moscou de toutes ses forces et avait des intellectuels de haut niveau, convaincus et engagés, dont le chef de file n’était autre que Jean-Paul Sartre lui-même, et de grandes figures toutes aussi engagées comme Yves Montand, ou Jean Ferrat.

Autour de ces personnalités, gravitait une flopée de faux gauchistes, des taupes, en fait, tels que André Glucksmann, Bernard Henri Levy, Bernard Kouchner, et tant d’autres qui sont nos néocons d’aujourd’hui. Le chef de file des intellectuels d’en face était représenté par Raymond Aaron, dont nous savons maintenant qu’il était un agent de la CIA.

L’opération en France fut réglée comme du papier à musique. On envoya tout d’abord MSF sur place, avec Bernard Kouchner pour se faire photographier portant dans ses bras un enfant réfugié comme un sac de riz. On multiplia les photos et les commentaires plus larmoyants les uns que les autres, et l’émotion fut entretenue à son plus haut niveau par des témoignages et des apparitions à la télé. Toutes les taupes se joignirent à leur ami Kouchner pour crier au scandale et au génocide, en appelant à l’idéal humanitaire de la France.

Voilà le Parti Communiste et les Sartre, Montand piégés. Soit ils adhèrent publiquement à l’émotion générale, ce qui équivaut à condamner le communisme responsable des drames que vivaient les boat people, soit ils continuaient leur soutien sans faille du communisme, ils apparaitraient alors comme les complices de ce qui se passe et seraient complètement disqualifiés.

Ils préférèrent ne pas être disqualifiés. Mais la simple adhésion à l’émotion ambiante ne suffisait pas. Des mises en scène grandioses s’ensuivirent : la grande réconciliation entre Sartre et Raymond Aaron sous l’œil attendri de Glucksmann, des conférences de presse, des émissions de télé aux heures de grande écoute, etc. Le message que l’on voulait passer était clair. Les intellectuels français dont le grand Sartre condamnaient le communisme, et donc se distanciaient de Moscou.

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Après cette opération en France, une sorte de consensus fut trouvé, pour parler de communisme, chez les intellectuels de gauche, qui désormais mettaient beaucoup de bémol dans leurs engagements. Plus tard, certains iront même jusqu’à les renier complètement. L’un des seuls pays occidentaux où l’URSS pouvait encore s’appuyer sur une base intellectuelle, voyait cette base se déliter au profit quasi exclusif des intellectuels de gauche-taupes. Nous sommes alors à la fin du mandat de Valérie Giscard d’Estaing. Mitterrand va rafler la mise moins de deux ans plus tard.

La médiatisation autour des migrants d’aujourd’hui est quelque chose de parfaitement orchestré, comme ce fut le cas en 1979. Nous le voyons aujourd’hui, la campagne autour des boat people entrait dans le cadre de la lutte contre l’URSS, via l’affaiblissement du support intellectuel prosoviétique en France. Pour la campagne actuelle sur les migrants Syriens, il ne faut peut-être pas en chercher les objectifs dans ses effets immédiats. Certes, l’URSS n’existe plus, mais la Russie est toujours là, aussi haïe que l’était l’URSS. C’est peut-être à ce niveau qu’il faut chercher les buts poursuivis pas les Etats-Unis, que l’on retrouve à l’origine des deux phénomènes migratoires dont le point de départ est, pour l’un, le Vietnam, prosoviétique, et pour l’autre, la Syrie, prorusse.

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