Si Le Canard Enchaîné reste une référence dans les bruits de couloirs et les divulgations de secrets gênants, force est de constater que le règne sans partage du palmipède qui durait depuis l’affaire Stavisky près de 100 ans auparavant a pris fin depuis les années 2010.
Au tableau de chasse de Mediapart : Eric Woerth (affaire Bettencourt), Alain Joyandet (jet privé à 100 000 euros), Jérome Cahuzac (compte suisse), Aquilino Morelle (souliers de luxe), Thomas Thevenoud (phobie administrative), Denis Baupin (agressions sexuelles), Laura Flessel (raisons fiscales) et enfin François de Rugy.
Un tableau de chasse impressionnant en neuf ans. Un tableau de chasse qui en dit long sur l’incroyable force de frappe d’Edwy Plenel et qui entretient la crainte que tous éprouvent à l’encontre de ce petit bonhomme moustachu aux yeux plissés et au rictus qui oscille entre l’amusement et la défiance.
Ces affaires qui ont permis de révéler certains talents journalistiques comme l’enquêteur Fabrice Arfi, l’homme qui a flingué Rugy et traque sans relâche Nicolas Sarkozy sur les terres libyennes.
Comme des chasseurs chevronnés ou des rapaces, les journalistes de Mediapart isolent, ciblent, tournent autour et portent l’estocade. L’assassinat n’est jamais immédiat, la proie les sent venir, elle devine l’encerclement progressif, se sent acculée, serrée, piégée, alors elle panique, se découvre, fait des erreurs et finit par rendre les armes.
Heureux qui comme un chasseur rapporte un beau trophée. Pourtant, de tous ces massacres exhibés fièrement dans le « hall of shame » du média créé en 2008, il manquera toujours les rois des gibiers.
Las, Rugy faisait une piètre bartavelle, exit donc le mangeur de homards amateur de grands crus, exit l’homme qui avait trahi ses engagements lors de la primaire du PS pour rallier Macron en laissant choir Benoît Hamon. Bon débarras serait-on tenté de dire. Mais pendant que Rugy tombe, le dépeceur d’Alstom, le bradeur des aéroports de Paris, l’homme aux réseaux obscurs est toujours en place à l’Elysée.
C’est bien là que Mediapart déçoit. Comme si les prédateurs qu’ils prétendent être se muaient en chiens se disputant un os à défaut d’avoir la carcasse, Mediapart offre des seconds couteaux comme pour asseoir sa légitimité sans jamais mettre en danger réellement ceux dont ils se réclament le contre-pouvoir par excellence.
Mediapart joue finalement un jeu assez confortable dont le pouvoir peut s’accommoder assez bien. Laissez-nous piller la Banque et nous vous donnerons des voleurs à l’étalage.
Les liens entre Mediapart et le pouvoir s’apparente davantage à ceux liant le SAC et les Lyonnais qu’aux Incorruptibles et Al Capone. On serait, en désespoir de cause, tenté de féliciter Macron de ne pas céder aux chantages de Plenel, car il y aurait pire qu’un consommateur de homards payés avec des deniers publics : un Edwy Plenel en Secrétaire général de l’Elysée, faisant et défaisant les ministres à son goût. •
Etienne Defay – Présent