Décès de l’académicien Max Gallo (Vidéo)

Il était la voix de l’Histoire en France depuis plusieurs décennies. Selon Le Figaro, Max Gallo est décédé à l’âge de 85 ans. L’académicien avait publié plus de cent livres, dont Une histoire de la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs ouvrages sur le général de Gaulle ou Napoléon, et des essais comme L’amour de la France expliqué à mon fils.

L’écrivain-historien, secrétaire d’État et porte-parole du gouvernement de Pierre Mauroy dans les années 1980, et membre de l’Académie française depuis 2008, souffrait de la maladie de Parkinson. En 2012, à l’occasion de la sortie de ses mémoires, L’oubli est la ruse du diable, Le Point avait interrogé l’infatigable auteur et amoureux de l’histoire de France. Il revenait sur son parcours littéraire et politique, la disparition de sa fille et ses rencontres, de Revel à Mitterrand.

Max Gallo est atteint de gigantisme. Il y a d’abord ce corps immense qui l’amène souvent à se courber devant l’interlocuteur. Il y a ensuite cette œuvre profuse et considérable – plus de cent livres, romans ou ouvrages historiques –, qu’il édifie sans relâche avant que le jour se lève dans son appartement-bibliothèque dont les fenêtres donnent sur le Panthéon, où gisent certains de ses héros. Ses Mémoires mettent à nu ce forçat de l’écriture, pourtant si pudique, qui a foulé son siècle à grandes enjambées. Il y raconte son enfance à Nice de petit immigré italien, ses désillusions politiques, sa montée à Paris, son amitié avec feu notre éditorialiste Jean-François Revel et, surtout, ce chagrin qui coule en lui depuis quarante ans déjà : le suicide de sa fille, dont il se sent coupable, comme s’il avait été le prix à payer pour ses succès littéraires. Une douleur qui court tout au long de ce livre vrai, déchirant et puissant, qu’on lit la gorge serrée.

Le Point : Ce livre, vous auriez pu l’intituler Mathilde, du prénom que vous avez donné à votre fille, qui s’est suicidée en 1972…

Max Gallo : Le titre retenu est inspiré d’une citation de Rigord, un moine de l’abbaye de Saint-Denis : « Ne meurent et ne vont en enfer que ceux dont on ne se souvient plus. L’oubli est la ruse du diable. » Une phrase extraordinaire : ainsi la vie éternelle n’existerait-elle que dans la mesure où des gens se transmettent le souvenir et la mémoire d’un être disparu. Dans ce livre, j’ai voulu donner de l’éternité aux miens, à mes personnages, parmi lesquels Mathilde, qui est le centre de gravité de ce récit.

Mathilde est l’amour et le drame de votre vie…

Elle est ma grande interrogation et ma grande culpabilité.

Culpabilité ? En quoi était-ce de votre faute ?

Cette culpabilité était présente, dès lors que j’ai rompu avec ma vie de professeur à Nice. J’ai toujours craint que ma fille, avec qui j’entretenais un lien très fort, ne soit le coût de ma nouvelle vie. Une vie parisienne, loin d’elle, trop loin d’elle.

Vous aviez le sentiment de l’avoir délaissée ?

Je pensais l’avoir abandonnée, car je croyais qu’elle ne pouvait vivre qu’avec moi. Je faisais lucidement le choix du risque en m’écartant d’elle. Puis, le fait d’avoir édité, en 1971, Au nom de tous les miens, le livre de Martin Gray, qui racontait, notamment, la disparition de ses quatre enfants dans un incendie, a accru mon inquiétude. Pour rajouter à l’effroi, l’année suivante, j’ai écrit un roman qui s’appelle Le cortège des vainqueurs. C’est l’histoire d’un journaliste écrivain qui a abandonné sa fille. Rongé par la culpabilité, il écrit un livre et le lui dédie. Seulement, au cours d’un reportage en Italie, il oublie le manuscrit sur le siège de son véhicule. À son retour, la voiture est fracturée, le manuscrit volé. Sa fille n’a donc jamais lu le livre qui lui était dédié. C’est exactement ce qui s’est produit avec Le cortège des vainqueurs, que j’ai envoyé à Mathilde. Elle ne l’a jamais reçu, et pour cause, elle venait de se suicider.

Avez-vous hésité avant de livrer cette part de votre vie ?

Je n’ai pas hésité, car, comme tout écrivain, je suis un peu cynique ou, si l’on veut, vampire. L’écriture m’a sauvé et m’a permis, au lendemain de la mort de ma fille, d’écrire un roman, intitulé Un pas vers la mer. C’est l’histoire non pas d’un père qui perd sa fille, mais d’une mère qui perd son fils.

Parlez-nous de Mathilde…

C’était une enfant très douée, qui s’est suicidée à 16 ans. Elle était dans le droit-fil de 68. Ma culpabilité s’explique, aussi, par le fait qu’il y avait chez elle de nombreux signes précurseurs. Elle fuguait. Un jour, je l’ai récupérée à Florence, au sein d’une communauté. Par ailleurs, elle avait déjà tenté de se suicider. Après quoi je suis allé voir le plus grand psychiatre de la région niçoise, qui m’a dit : « Cher monsieur, vous n’avez plus de souci à vous faire ! » C’est peut-être ce que je voulais entendre, même si j’étais prêt à quitter Paris pour revenir à Nice, auprès d’elle.

Avez-vous compris les raisons de son suicide ?

Pour elle, il y avait une impossibilité à vivre, plus la déception de l’après-68. Sans parler de la drogue…(Long silence.) Mathilde était souvent excessive. Pour élever ma fille, je n’avais confiance que dans mon milieu, c’est-à-dire ma mère et ma grand-mère, qui ont pris en charge son éducation. Avec du recul, c’était irresponsable. Cette coexistence masquait un décalage culturel entre ma fille, qui évoluait dans le contexte de 68, et son arrière-grand-mère, au style moyenâgeux. Quand, cependant, j’avais des inquiétudes à son sujet, je me disais : « Elle surmontera les épreuves, parce qu’elle est intelligente. »

Vous, le fils de pauvres immigrés italiens, n’avez-vous pas été victime, à l’époque, de la malédiction du travail, de l’ivresse de l’écriture et des éloges parisiens ?

J’ai souffert du sentiment d’humiliation. C’est ce qu’il y a de plus insupportable et, en même temps, je ne connais pas meilleur moteur. Je devais m’en sortir. Ma grande question est : quel prix faut-il payer pour s’arracher aux déterminismes sociaux et culturels ?

Votre réponse ?

Le prix est incommensurable. On a beau donner un cadre à un enfant, le protéger de l’humiliation, s’il est issu d’une lignée traumatisée, il restera toujours un dissident et un marginal. Raison pour laquelle je trouve les discours sur l’immigration, bien souvent, hors sujet. On ne peut expliquer ce qu’est un immigré que par l’étude de cas individuelle.

Avez-vous été tenté de rompre avec vos racines, de faire table rase ?

Dans ma vie, il y a eu un tournant : l’écriture et le succès de La baie des Anges, qui est le roman de trois frères d’origine italienne. Je n’ai pas dissimulé mes origines et n’ai jamais été tenté d’effacer mon histoire.

Si votre père a facilité votre intégration, il y avait aussi la politique, la gauche marxiste et communiste…

À Nice, chacun avait son histoire. À la mort de Staline, en mars 1953, j’étais déjà un déçu. Nombre de livres prônant la lucidité m’ont fait basculer. Je n’étais pas un intellectuel « proche du Parti communiste », mais juste un prolétaire, soucieux du sort des humiliés. Et, au fur et à mesure que je devenais un intellectuel, je me séparais du Parti.

Votre rencontre avec Jean-François Revel a beaucoup compté intellectuellement. A-t-il changé votre vie ?

Absolument. C’était un homme extraordinaire. Il m’a offert la possibilité d’entrer dans une maison d’édition, à Paris, de fréquenter le milieu littéraire. Je ne pouvais pas refuser. C’était une fidélité à ce dont j’avais toujours rêvé, malgré les réticences liées au coût pour ma vie privée – on y revient. Je vais vous faire une confidence : si j’ai été candidat à l’Académie française, c’était pour succéder à Jean-François Revel. Occuper son fauteuil était, pour moi, un signe ô combien symbolique. À L’Express, il a tenu, durant des années, l’éditorial de la rubrique Culture. Quand il est passé en politique, il m’a proposé de reprendre son éditorial. Je m’en souviens encore, nous étions dans la porte à tambour des éditions Laffont. Je lui ai dit que je ne pouvais pas accepter, car je passerais pour un imposteur. Il m’a dit : « Parce que tu crois que moi, je ne suis pas un imposteur ? »

Pour rester dans le domaine littéraire, vous nous faites, dans ce livre, une sacrée révélation. À 15 ans, vous avez baptisé votre sexe « Gallimard » !

J’ai hésité à rapporter cette anecdote… Mais, dans le fond, c’est le rapport entre l’ambition, le sexe et la littérature. En effet, j’avais 15 ans, j’étais sur la plage de Nice avec des copains, quand est arrivée une belle étrangère. Tout de suite, j’ai eu l’impression de la séduire. J’étais très timide, je n’ai donc rien dit et, bien sûr, rien fait. Le soir, en rentrant chez moi, j’ai écrit une nouvelle intitulée L’amoureux muet. Le lendemain matin, au même endroit, devant la même étrangère, je me suis mis à lire mon texte. J’ai vu son intérêt basculer à nouveau de mon côté. J’ai alors crié : « Bravo, Gallimard ! » Le sexe et l’écriture avaient partie liée.

Votre père, encore lui, n’est pas étranger à votre goût pour l’écriture. Il vous offre votre première machine à écrire, en vous disant : « Avec ça, tu remporteras bien des combats ! »

Mon père est à l’origine de tout. Il appartenait à ce que j’appelle la génération des survivants. Sur une photo prise le 14 juillet 1914, il pose aux côtés de trois jeunes gens, qui seront tués durant la guerre. Mon père, lui, a échappé au pire : électricien, il a été muté dans la marine. Il avait acquis de ce long séjour au contact du danger une sorte de sagesse et de prudence. En somme, il voulait durer. Durer en paix.

Comme Camus, vous avez connu la honte sociale, puis la honte d’avoir honte…

C’est vrai. Le personnage qui est le mien, qui me représente dans ce livre, ne m’est étrangement pas sympathique. Parce que je me rêvais Schoendoerffer, allant au front, et j’étais Sartre. Je me rêvais, aussi, Romain Gary, qui avait cette capacité à l’humour, permettant de tout dire.

Il est vrai que l’on perçoit chez vous davantage la souffrance que l’humour…

Ce n’est pas un calcul pour être aimé, mais peut-être un cabotinage. (Sourire.)

Vous faites un portrait de François Mitterrand d’une incroyable férocité. Expliquez-nous pourquoi.

Il ne correspondait pas à mon modèle politique. En quittant le gouvernement socialiste, j’ai écrit une biographie de Jaurès, qui était un moyen, pour moi, de me purifier. En 1965, à Nice, mon père et moi sommes allés au casino municipal pour écouter Mitterrand, venu prononcer un discours dans le cadre de la campagne présidentielle. Sur l’estrade, j’ai aperçu, entourant Mitterrand, toute l’extrême droite d’avant-guerre ainsi que des communistes, tous unis contre le « fascisme » de De Gaulle. Cela m’avait beaucoup marqué. À l’inverse de beaucoup, il ne m’impressionnait pas.

On l’a un peu vite oublié, mais François Hollande a été votre directeur de cabinet quand vous étiez porte-parole du gouvernement sous Mitterrand. Racontez-nous cet épisode.

En 1983, j’avais déjà acquis la conviction qu’il serait un jour Premier ministre. Puis, en le voyant s’éloigner, j’étais persuadé qu’il irait au-delà. J’étais frappé par sa détermination. Tous les jeudis soir, il prenait le train pour se rendre en Corrèze, où il devait faire ses preuves. D’autant plus que les socialistes locaux n’avaient pas apprécié son parachutage…

Vous l’aimez bien, Hollande ?

Je n’ai jamais écrit un mot contre lui.

Quand on se penche, comme vous, sur sa vie pour en faire un livre, cela signifie, en général, que l’on acte la fin d’un cycle, voire d’une vie. Était-ce votre volonté ?

Ce livre n’est pas posthume, mais j’ai craint qu’il ne le soit. Sa parution me perturbe, je dois l’avouer. J’ai en effet le sentiment d’avoir bouclé ma vie, pour ainsi dire.

Comment la résumer, cette vie, en quelques mots ?

C’est une histoire française. Je dirai merci à la vie, car je n’ai aucun regret. J’ai fait ce que j’ai pu et il n’y a pas un seul de mes livres où je fais l’apologie de la destruction de l’homme.

Vous avez plutôt un sentiment de plénitude ou d’échec ?

Un sentiment de fatigue. (Sourire.)

Cet article a été publié dans Le Point du 4 octobre 2012

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