À l’heure où le Salon international de l’aéronautique et de l’espace (SIAE) ouvre ses portes, il est une question que la presse spécialisée, portée par ses ailes de coq, ne se posera pas. Le modèle A320 se vend bien, face à son concurrent américain, le B737, et aux nouveaux arrivants russe, chinois et brésilien ; de ce côté-là, tout va bien… Pour l’instant ! En revanche, une question essentielle se pose aujourd’hui, s’agissant de l’avenir du fleuron de la gamme, l’A380 ! Souvent pris en exemple comme une brillante réussite industrielle européenne, il a fait son premier vol le 27 avril 2005 à Toulouse et, depuis, la météo semble au beau fixe.
Pourtant, le ciel s’assombrit pour ce modèle emblématique car il souffre d’un arrêt inquiétant des commandes qui risque de mener très vite à l’abandon du programme, bien avant qu’il ait atteint son seuil de rentabilité. C’est dire, en un mot, que le constructeur se trouvera bientôt devant un choix cornélien : licencier ou injecter de l’argent pour survivre. Mais quel argent ? Même s’il reste plus d’une centaine d’appareils à livrer, l’horizon risque de basculer ensuite, tant l’avenir pour ce mastodonte est incertain.
En 2000, le programme, alors appelé A3XX, lancé tambour battant, affiche des objectifs raisonnables : un marché estimé à 1.200 exemplaires absorbera en effet sans problème la fabrication et la livraison des 270 appareils nécessaires pour atteindre le seuil de rentabilité du programme.
Las, c’était, à l’époque, sans compter les problèmes – notamment de « câblage », mais pas seulement – survenus ensuite dès l’année 2004 qui plombèrent significativement le bon déroulement du programme et qui, après une injection financière importante, notamment de l’État français, portèrent le seuil de rentabilité à 420 appareils.
Aujourd’hui, le nombre total d’appareils vendus atteint 321 pour 18 compagnies aériennes, mais la concurrence est sévère, celle, notamment du B777-ER (version allongée du B777 original), le biréacteur construit par le constructeur américain Boeing, plébiscité par les compagnies sur le même segment de marché que l’A380 et ses différentes versions qui, aujourd’hui, dépassent rarement la capacité maximum de 450 sièges.
On peut également ajouter que la moitié des avions commandés, construits et livrés à ce jour, a été achetée grâce à l’argent du pétrole par la compagnie aérienne Emirates, fondée en mai 1985. En effet, cette compagnie, née peu avant la préparation du projet dans les années 90, a quasiment « sauvé » le programme en achetant pas moins de 142 exemplaires, totalisant environ 40 % du carnet de commandes aujourd’hui.
Pour en finir avec cette litanie, il convient de prendre également en compte l’augmentation importante du prix du baril de pétrole. En effet, ce paramètre est fondamental pour les compagnies qui privilégient les biréacteurs, comme le B777, aux quadriréacteurs comme l’A380, l’A340 ou les derniers B747, plus gourmands en kérosène.
Même si cela reste, malgré tout, une belle aventure aéronautique, cet avion – tout apprécié qu’il est des passagers pour son confort – finira-t-il par s’inscrire dans le livre des records commerciaux désastreux, tout comme le Concorde ?
Airbus, face à la concurrence sévère qui s’annonce aujourd’hui pour l’A320 avec la Russie, la Chine et le Brésil qui lancent leurs produits concurrents, et avec le naufrage annoncé du programme A380, devra faire en sorte de ne pas se crasher. La question, même si elle n’est pas encore clairement posée, reste entière pour l’avenir : licencier massivement ou injecter de grosses sommes d’argent – public ? – pour éviter l’ouragan.
Jean-Louis Chollet- Boulevard Voltaire