À peine paru en France, le dernier livre du sociologue québécois Mathieu-Bock-Côté, L’empire du politiquement correct, a donné lieu à des débats et des échanges parfois vifs. Cet « essai sur la respectabilité politico-médiatique » révèle bien le climat moral et intellectuel de notre modernité tardive.
Il est partout. Ou, presque. Sur les plateaux de télévision, à l’antenne des radios, dans les colonnes des journaux ou dans les salles où des foules attentives viennent l’écouter avec admiration. Récemment, il a ainsi répondu aux questions de l’équipe menée par Yann Barthès, dans « Quotidien », l’émission de TMC. Un échange musclé mais respectueux. Drôle aussi, à voir les têtes ahuries des jeunes membres de l’équipe de Barthès.
Un sociologue prolixe
Il ? C’est le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, qui, en plus du combat souverainiste qu’il mène de l’autre côté de l’Atlantique, chronique chaque samedi dans le Figaro et trouve le temps de publier en France certains de ses ouvrages. On dit de lui qu’il est devenu « l’intellectuel » de référence de la droite conservatrice, celle qui cherche désespérément l’homme providentiel voire – modernité acceptée dans les limites d’un certain scepticisme – la femme providentielle.
Dans son dernier livre, tel un don Quichotte décidé à abattre les moulins qui empêchent de penser librement, Mathieu Bock-Côté s’en prend au politiquement correct. Issu du monde anglo-saxon, le « politically correct » renvoie à une histoire beaucoup plus ancienne qu’on ne le croie généralement. Mais, c’est surtout dans les années 1980 que cette notion émerge, imposant son diktat moral et intellectuel de conformité, non à des normes supérieures et intangibles, mais à l’évolution des mœurs, des opinions du moment et de leur traduction dans le Droit. Comme toujours, l’expression et ce qu’elle recoupe prirent un certain temps avant de traverser l’Atlantique. Mais la naturalisation s’effectua rapidement.
Mais, au fait, qu’est-ce que recouvre exactement ce fameux « politiquement correct » ? L’attitude de Justin Trudeau et les manœuvres d’Emmanuel Macron ? La logorrhée du clone commun de Yann Barthès, de Sibeth Ndiaye et de Léa Salamé ? Les « réflexions » de Jean-Michel Apathie mélangées à celles de Yannick Noah ? Docteur en sociologie, chargé de cours à HEC Montréal, Mathieu Bock-Côté est évidemment plus précis (et, plus sérieux !) : « le politiquement correct est un dispositif inhibiteur ayant pour vocation d’étouffer, de refouler ou de diaboliser les critiques du régime diversitaire et de l’héritage des Radical Sixties, et plus largement, d’exclure de l’espace public tous ceux qui transgresseraient cette interdiction. »
Fort de cette description, Bock-Côté se penche sur le cadavre encore chaud du débat d’idées, s’intéresse à l’extension infinie du domaine de la censure, ausculte à la manière d’un entomologiste les cas Finkielkraut, Onfray, Zemmour et autres représentants d’une espèce en voie de disparition : l’intellectuel désireux de penser hors les normes. Le monde anglo-saxon n’est pas oublié – comment le pourrait-il ? – et vaut au lecteur, dès les premières pages du livre, cet avertissement à la fois salutaire et refroidissant : « […] il faut prendre au sérieux les extravagances théoriques qui occupent les séminaires académiques, et plus particulièrement celles qui viennent d’Amérique. Les spéculations idéologiques du progressisme diversitaire peuvent changer le monde. » Pas moins !
Ce livre qui débute avec une réflexion de Chesterton et qui s’ancre dans l’antique et classique vertu de piété naturelle, par un hommage aux parents de l’auteur (père et mère, et non « parent?1 » et « parent?2 »…), emprunte décidément des voies heureuses qui se déploient souvent dans des excursions bienvenues touchant l’identité, la dictature des réseaux sociaux, la psychologie politique, le racisme ou cette lancinante douleur de la nostalgie qui habite aujourd’hui tant de cœurs. Notre Robin des Bois de la pensée met souvent dans le mille.
Un moderne modéré
Sans surprise, cette dénonciation en règle de l’empire du politiquement correct s’achève par un hymne au conservatisme, lequel se caractériserait « essentiellement comme une critique de la démesure moderne ». N’empêche ! Comme l’explique clairement Mathieu Bock-Côté à Yann Barthès, un conservateur est un « moderne modéré ». Mais le politiquement correct ne serait-il au fond que le fruit d’une démesure moderne, de l’excès d’un mouvement parti d’un si bon pas et qui aurait bifurqué au mauvais carrefour ? Il semble qu’il faille aller plus loin et remonter aussi plus haut. Comme l’a montré Tomislav Suni??(1), le politiquement correct est issu de l’hypermoralisme américain, d’origine puritaine, et des idées freudo-marxistes. Il forme le noyau essentiel d’une « religion civile » de type universel et renvoie aux droits de l’homme coupés de toutes références à la loi naturelle. La modernité semble en être le berceau naturel et elle ne cesse de l’irriguer. Nous en voyons aujourd’hui le plein développement et les conséquences ultimes. Mathieu Bock-Côté nous aura au moins permis d’ouvrir les yeux sur ses conséquences. N’hésitons pas à remonter aux causes…
1. Catholica, n° 92, p. 98. Cf. aussi Guiseppe Reguzzoni, Il liberalismo illiberale. Come il politicamente corretto è divenuto la nuova religione civile delle società liberali, XY.IT, Antaios, 2015.
Mathieu Bock-Côté, L’Empire du politiquement correct, Le Cerf, 300 p., 20 €.
[Cet article est initialement paru dans le numéro 1686 du 27 avril2019 de L’Homme nouveau, disponible dans leur boutique]