(Photo:Philippe Saurel, nouveau maire de Montpellier)
Historiens et intellectuels s’opposent au remplacement du Musée de l’histoire de la France en Algérie par un espace d’art contemporain.
Sur le plan muséal, il s’agissait de récupérer une part des collections de l’ancien Musée national des arts africains et océaniens créé en 1960 à Paris et qui fermait. L’essentiel de son fonds a intégré le Quai Branly. Les œuvres et documents concernant l’Algérie postcoloniale sont restés sur place, dans le nouveau Musée de l’histoire de l’immigration. Restait la partie XIXe siècle, avec notamment des chefs-d’œuvre orientalistes signés Vernet, Chassériau, Fromentin, Barrias, Cordier…
Plus que sceptique, Hélène Mandroux, qui succédait à Frêche, se désengageait du projet prévu dans les 1 500 m2 d’exposition de l’hôtel Montcalm, bijou XIXe du centre-ville. Mais en tant que président de l’agglomération à partir de 2001 Frêche reprenait le tout. Un permis de construire était accordé en 2009 et les travaux commençaient.
Non sans de nouvelles difficultés. Retards, décès du directeur du comité scientifique, marche antiraciste… Le MHFA allait-il respecter toutes les histoires, celle des harkis, des pieds-noirs, des Algériens ayant combattu la présence française, des immigrés? Le PS Jean-Pierre Moure, alors président de la communauté d’agglomération, calmait les esprits: «L’idée du musée se poursuit de façon objective avec tous les éléments historiques.»
De fait, le comité désormais présidé par Jean-Robert Henry, directeur de recherches émérite au CNRS, s’imposait par son impartialité, les meilleurs historiens de part et d’autre de la Méditerranée y participant bénévolement. Vendredi, ceux-ci et leurs parrains ont adressé une lettre ouverte à Saurel. L’abandon «s’est fait de manière abrupte et improvisée», écrivent entre autres Ahmed Djebbar, spécialiste de l’histoire des mathématiques, Marc Ferro, codirecteur des Annales et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, Ahmed Mahiou, directeur de recherches émérite au CNRS, Georges Morin, inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale, ou encore Benjamin Stora, professeur des universités.
Certains se déclarent «désolés de cet affront à l’intérêt national». La plate-forme de travail impliquait en effet le Louvre, Versailles, le Quai Branly, les Invalides, le Musée de la marine et le MuCEM de Marseille. Bien que l’histoire de la colonisation et de la décolonisation soit abordée en classes de 4e, 3e, première et terminale, le MHFA aurait été le premier lieu en France à permettre le dialogue entre les mémoires et les communautés, sur un sujet que la nation n’a toujours pas digéré.
La lettre rappelle encore que 15 millions d’euros ont été engagés sur les 22 budgétisés. «Certains ne sont pas transférables, comme les 3 millions qui ont servi aux acquisitions ou les contrats passés avec les prestataires de services travaillant depuis des mois sur le contenu des expositions.» Mille objets dont 529 exposés, 1 572 documents et une bibliothèque de 3 000 ouvrages devaient rejoindre l’hôtel Montcalm. Se trouvaient également sur les rails une exposition sur l’Algérie durant la Grande Guerre, labellisée par la Mission du centenaire, ainsi qu’une autre sur l’archéologie française en Algérie, avec le Louvre.
La décision «élaborée sans aucune concertation avec les acteurs du projet ni respect pour leur travail» a été prise – ironie du sort – à quelques jours de la Nuit des musées, et alors que la demande de label «Musée de France» doit être prochainement examinée au ministère de la Culture.
Saurel fait valoir que le projet alternatif coûtera moins cher. Plutôt que de poursuivre l’achat d’œuvres, il envisage de passer une convention avec le Fonds régional d’art contemporain, d’entreprendre une collaboration avec le peintre Pierre Soulages, basé à Rodez, et de trouver un accord avec le Centre Pompidou. Marseille ou Perpignan se montreront-elles intéressées par la reprise du MHFA? Rien n’est moins sûr. À Montpellier, l’aventure n’a plus qu’une mince chance de se poursuivre. Ce pourrait être sur un terrain que la Ville a acheté à l’armée et où se trouve déjà un Musée de l’infanterie.