Décidément, il y a une profonde incompréhension entre le ministère de la Culture (le ministre, ses conseillers et certains directeurs) et ce que fait La Tribune de l’Art.
Depuis avant-hier et le début de l’incendie à la cathédrale de Paris, la plupart de nos lecteurs, qu’ils soient historiens de l’art, conservateurs ou amateurs passionnés s’interrogent avec angoisse sur le sort des œuvres conservées dans Notre-Dame. Tel tableau est-il en bon état, telle sculpture est-elle intacte ? Nous ne pouvons à ce stade que leur donner des bribes d’information, que nous glanons ici ou là, pas forcément fiables, parfois inquiétantes, souvent rassurantes… Mais il est logique que nous voulions faire notre travail, qui est de renseigner le plus complètement possible. Savoir qu’un tableau précis est sauvé constitue souvent une information essentielle pour un lecteur, qui peut être le spécialiste de l’artiste, ou seulement un amoureux de celui-ci et avoir, toute sa vie, été marqué par cette œuvre. Il est vrai que c’est peut-être un sentiment difficile à comprendre pour certains qui n’ont aucune passion pour l’art.
Il est donc normal que nous demandions au ministère de la Culture de pouvoir approcher au plus près les opérations de sauvetage pour commencer un bilan et communiquer au fur et à mesure à nos lecteurs les connaissances que l’on peut avoir de la conservation des œuvres. Nous avons donc adressé une demande en ce sens, par SMS, au cabinet du ministre.
Celui-ci ne nous a d’abord pas répondu, alors nous l’avons relancé. Et voici la réponse en deux temps que nous avons obtenue et que nous vous livrons ici :
D’abord ceci :
« Voici la liste des objets sauvés lundi soir : – reliquaire de la sainte couronne d’épines, dit Cahier Charles – reliquaire de la croix dite Palatine – reliquaire du clou – reliquaire de la sainte couronne d’épines – couronne dite de la Vierge de Charles X – reliquaire du clou et du bois – chemise de saint Louis – chasse de procession – garniture d’autel du sacre de Napoléon Ier (un crucifix et 6 chandeliers) – garnitures des autels latéraux (une vingtaine de pièces, notamment candélabres du XIXème siècle) – Vierge à l’Enfant dite de Charles X Tableaux : – Vierge de Pitié de Lubin Baugin – Nativité de Louis Le Nain – Saint martyr coréen – Vierge à l’Enfant »
Il s’agit donc de la liste qui a déjà été fournie à la presse (mais pas à nous !) il y a un jour. Une liste qui reprend essentiellement des objets du trésor dont tout le monde sait qu’il a été sauvé (il n’y a d’ailleurs manifestement que ça qui semble intéresser les officiels), sans aucune précision.
Nous pouvons en tirer déjà des informations qui pour nous et nos lecteurs sont fondamentales : la Nativité de la Vierge Le Nain (ill. 1) est sauvée, ainsi que la Vierge de Pitié de Lubin Baugin (ill. 2), l’un de ses chefs-d’œuvre avec le tableau d’Orléans. Parler de Vierge à l’enfant sans précision d’auteur montre à quel point tout cela n’a pas beaucoup d’importance pour eux (alors que cela en a pour nous). Quant au Saint Martyr Coréen, sans nom d’auteur une fois de plus, nous n’avons pas réussi à identifier l’œuvre (merci aux lecteurs qui pourraient nous aider).
Mais le meilleur vient ensuite avec ce petit couplet moralisateur : « Les personnes en charge de la sauvegarde des œuvres font un travail formidable et intense depuis lundi. Il faut respecter leur travail en les laissant tranquilles et concentrés sur leur tâche à ce stade. Vous aurez bien entendu toutes les infos. »
Le ministère considère donc un peu La Tribune de l’Art comme un repaire de paparazzi, qui seraient là pour venir perturber les travaux de sauvetage dans une perspective sensationnaliste, sans bien entendu « respecter les personnes en charge de la sauvegarde des œuvres ». Il est dommage que des chargés de communication avec la presse connaissent et comprennent aussi mal notre travail (et finalement nous respectent aussi peu, puisqu’il est ici question de respect). On imagine ce que cela donnerait au ministère de la Défense si l’on traitait ainsi les reporters de guerre chargés par leur rédaction d’aller sur le terrain (nous ne nous comparons évidemment pas à ceux-ci, nous ne risquons pas notre vie comme eux, mais la situation est en revanche assez transposable). Surtout, n’informons pas ! on sait qu’il s’agit là d’un des principes du ministère de la Culture, et depuis longtemps.
Donc, on nous donnera des listes en temps utile. Des listes partielles, des listes sans précision, alors que si nous pouvions nous rendre sur place, ne serait-ce qu’en observateur, nous serions capable d’identifier (car nous les connaissons assez bien et nous avons des moyens d’enquêter) les œuvres sauvées et de communiquer sur leur état. Nous pourrions même à l’occasion donner un coup de main.
Tout cela est très agaçant, mais cela ne nous empêchera pas de faire notre travail qui n’est pas d’être la courroie de transmission des informations que le ministère aura la bonté de nous communiquer en son temps et en son heure. Nous trouverons d’autres moyens de le faire, puisque manifestement le ministère a décidé de ne pas nous y aider.
Merci d’ailleurs à toute personne en charge du sauvetage des œuvres et qui serait aussi lecteur de La Tribune de l’Art de nous contacter (nous resterons bien sûr muet sur nos sources) afin de nous aider également à faire ce bilan, qui sera long à établir.
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