« C’était mieux avant »… Sûrement, peut-être, mais pas forcément. Surtout qu’il est tout aussi délicat de prétendre que tout ait mieux fonctionné depuis. D’où l’heureuse réédition de La France de Jean Yanne, mythique « essai » signé Dominique de Roux dans les seventies, et aujourd’hui réédité, même si amputé de la préface de Jean Yanne, mais texte avec bonheur remplacé par celui de Richard Millet, désormais médiatiquement un brin carbonisé, tel que Dominique de Roux le fut un peu en son temps.
De quoi s’agit-il exactement ? Pas d’un véritable livre. Pas plus que d’un essai, fort d’un début, d’une fin et d’un milieu. Mais d’un recueil d’aphorismes, de réflexions, de petites notes dont on voit bien qu’elles ont été glanées au fil de la plume ou des impressions du moment, sur le zinc du bistrot, discourant avec un copain de passage ou le cuir d’un canapé, un agréable bouquin à la main.
Cette France-là, c’est aussi celle de Claude Sautet et de Michel Audiard, des deux Georges (Marchais et Pompidou) ; et même celle de VGE. « VGE », comme on disait autrefois, du temps de « JFK », en attentant celui de « DSK » et, désormais, de « LOL », pour causer en texto contemporain.
Malgré le carcan médiatique « gaullo-communiste », la parole y était autrement plus libre que sous le nôtre, celui de cette bien-pensance à la fois libérale et libertaire. On l’aura compris, Dominique de Roux n’était pas Charlie.
Un exemple ? Celui-ci, picoré au gré de ces pages toutes plus foldinguettes et flamboyantes les unes que les autres : « Cette jeune provinciale me dit : “On m’a bourré la tête, j’ai quitté la Creuse, j’ai tout plaqué. Je me suis retrouvée avec mes deux valises sur le quai de la gare d’Austerlitz ; deux jours après, femme de ménage”. » Et ce petit dernier pour la route : « UDR ou PSU. Salle cafardeuse de bourgeoises pleurant à l’évocation de 1968. Après, je me suis invité chez Wepler, où j’ai dîné de soixante huîtres. »
Bon, en gros, tout y est. Le conformisme et la jobardise. Gauche roublarde et droite égoïste ; ou le contraire. Les fausses révoltes et les véritables postures ; la langue de coton et le goulag mou.
Il n’est pas anodin de rappeler que cette petite bombe de papier ait été amorcée en 1974, alors que la France faisait un triomphe au film de Jean Yanne, Les Chinois à Paris. Frileuse, une certaine droite jouait à s’en faire peur, estimant que tout cela pourrait bien arriver un jour. Sourcilleuse, une certaine gauche s’offusquait qu’on puisse railler l’œuvre du Grand Timonier. Mais au moins pouvait-on encore à peu près causer, ce qui est si peu le cas par les temps qui courent.
Nous ne vivons plus dans la France de Jean Yanne. D’où l’urgence de lire ce livre, ne serait-ce que pour un petit plaisir littéraire et politique, coupable autant que rétrospectif.