Luchino Visconti, comme l’a bien vu Gilles Deleuze, est un « cinéaste du temps », et son œuvre une irrémédiable recherche du temps perdu. Lecteur passionné de Marcel Proust ou de Thomas Mann, qui surent faire rimer autour du couple de mots adolescent-convalescent une partie de leur œuvre, il a uni les contraires, que ce soit le dialecte des pêcheurs siciliens avec la beauté chorale de la tragédie grecque dans La terre tremble (1948), ou bien le trauma des camps d’extermination nazis avec la disparition d’un monde de tradition familiale et de culture, comme dans Vaghe stelle dell’Orsa (Sandra, 1965). « Cinéaste aussi célèbre qu’inconnu », écrivait Serge Daney, Visconti offre « l’un des styles les plus hermétiques de l’histoire du cinéma ».
Né en 1906, dans une grande famille de la noblesse milanaise, Luchino Visconti rencontre Jean Renoir en France au moment du Front populaire et devient son assistant pour Les Bas-Fonds (1937), après avoir créé les costumes d’Une partie de campagne (1936). Au même moment, Coco Chanel le présente à Jean Cocteau. En Italie, il se lie avec le groupe d’intellectuels communistes animant la revue Cinema et, à partir de 1943, soutient des actions de résistance. Il réalise Ossessione, son premier long métrage, en 1942, après avoir été tenté par la littérature. Ce tard venu à la réalisation de films est aussi, dès 1945, un grand metteur en scène de théâtre puis d’opéra, notamment à partir de 1954 avec La Vestale de Spontini, début d’une étroite collaboration avec Maria Callas. Visconti est auréolé de l’histoire de sa famille qui croise celle de son pays comme celle de la culture italienne et européenne.