La plus féroce des meurtrières du XIXe siècle tient l’affiche de Fleur de Tonnerre, le premier film de Stéphanie Pillonca. Portrait de celle qui tuait de sang-froid dans de bons petits plats chauds.
«Âgée de 48 ans, fortement bâtie et colorée, coiffée du capot blanc empesé, vêtue de la robe montante de droguet et du tablier de cotonnade à bavette des paysannes d’Ille-et-Vilaine, la croix d’argent au cou, l’empoisonneuse, déjà légendaire dans toute la Bretagne, entre les yeux baissés et les mains jointes et prend place au banc des accusés où sa laideur abjecte, son regard dur, son front déprimé, sa bouche au sourire bas et méchant répondent bien à l’idée qu’on s’était fait d’elle et qui se traduit par un long murmure de répulsion.» Nous sommes le 6 décembre 1851, dans la rubrique judiciaire du Figaro de l’époque, au premier jour du procès d’Hélène Jégado – procès qui se terminera par sa condamnation à mort huit jours plus tard.
Hélène Jégado, dite la «Jégado», née à Plouhinec, dans le Morbihan, en 1803. Nourrie par les légendes de la Basse-Bretagne et les histoires d’Ankou – la personnification de la mort dans la mythologie bretonne. Orpheline à 7 ans, apprentie-cuisinière à 8. Accusée de trente-sept empoisonnements – officiels – en dix-huit ans, dont sept seulement n’ont pas été suivis de la mort des victimes. «Elle a traversé la Bretagne de part en part, tuant avec détermination tous ceux qui croisèrent son chemin : les hommes, les femmes, les vieillards, les enfants et même les nourrissons», peut-on lire en quatrième de couverture de Fleur de Tonnerre (1), l’ouvrage de Jean Teulé (Ô Verlaine, Le Montespan, Je, François Villon) qui a fait de cette vie un roman, fascinant et morbide. «Le bourreau qui lui trancha la tête le 26 février 1852 sur la place du Champs-de-Mars de Rennes ne sut jamais qu’il venait d’exécuter la plus terrifiante meurtrière de tous les temps.»
“Partout où je vais, la mort entre”
La plus grande empoisonneuse du XIXe siècle tuait de sang-froid, à travers des petits plats mijotés à l’arsenic en cuisine. Sa spécialité, la soupe aux herbes. «En 1833, Hélène entra au service de M. Le Drogo, prêtre à Guern. Dans cette maison, en trois mois, du 28 juin au 3 octobre 1833, décédèrent sept personnes, parmi lesquelles Anna Jégado, la sœur d’Hélène, le père et la mère du recteur, et M. Le Drogo lui-même», peut-on lire dans la chronique judiciaire du Figaro. «Toutes ces personnes moururent à la suite de pénibles vomissements. Toutes avaient mangé des aliments préparés par Hélène et avaient reçu ses soins jusqu’à leurs derniers moments.» Ou encore le témoignage de cette lingère à Locminé : «Quand la Jegadotte est entrée chez nous, ma mère avait un mal blanc au doigt. “Je crois bien, me dit-elle, que votre mère mourra”. Mais pourquoi ? elle n’a qu’un petit mal. “Ah, oui !, qu’elle répond, mais partout où je vais, la mort entre”.»
Dans son roman, Jean Teulé explique qu’Hélène Jégado aurait eu tellement peur de l’Ankou petite – «Se promenant en Bretagne avec sa charrette (…), il croise ou s’introduit chez les êtres, ne se fâche jamais après quiconque. Il les fauche, c’est tout», page 21 – , qu’elle aurait décidé de devenir elle-même l’archange de la mort, tuant sans raisons ni remords – «L’âme crispée lorsque la nuit tombe, elle écoute cette voix qui lui parle du fond d’une fosse épouvantable», page 149.
“Je ne leur ai donné que ce qui sort des pharmacies”
C’est ce roman que Stéphanie Pillonca a adapté au cinéma, sous un titre éponyme. «J’ai été bouleversée par l’histoire de cette jeune femme, sa solitude, son déclin ; cette fillette de 5 ans placée sous le sceau de la maltraitance, qui a grandi dans des conditions extrêmes», explique la réalisatrice qui a soigneusement travaillé avec les Archives nationales, les musées de Bretagne et les reliques du procès, pour coller au mieux au personnage que Le Figaro de l’époque décrit comme «l’un des types les plus épouvantables, au point de vue physique et moral, de la perversité humaine». Dans Fleur de tonnerre, le premier film de Stéphanie Pillonca, Hélène Jégado, incarnée par Déborah François, n’est pourtant pas que monstrueuse. «J’ai voulu montré son isolement, sa solitude, j’ai voulu que l’on se rappelle qu’en toute femme il y a cette petite fille qui pleure. Mon objectif était non pas de l’excuser mais de montrer que le manque d’amour conduit à la haine.»
L’avis du Dr Pitois, appelé par la défense de l’époque pour apprécier l’état mental de l’accusée, est relativement différent : «La lésion de quelque organe et une prédisposition au meurtre indiquée nettement par le crâne, font de l’accusée une anomalie. (…) C’est chez elle un tel besoin instinctif que j’ai cru saisir sur son visage une expression de bonheur chaque fois que l’on racontait dans cette enceinte les palpitations de ses victimes.» Jusqu’à la fin, malgré les multiples témoignages et les implacables accusations, Hélène Jégado criera son innocence : «Ben franchement, répond-elle aux questions de M. le président, et c’est là son dernier mot, je ne leur ai donné que ce qui sort des pharmacies et par ordre des médecins.» (Le Figaro, 1877). La peine de mort une fois prononcée, elle quittera l’audience, hochant la tête en signe de menace, montrant le poing au public.
(1) Fleur de Tonnerre, de Jean Teulé, 288 pages, Éd. Julliard.