Le Figaro.fr
Par Bruno Corty
Chronique réussie de la liaison sulfureuse d’un grand cinéaste et d’une actrice mythique.
En 2011, François- Guillaume Lorrain critique cinéma au Point, prenant prétexte de la sortie en salle de deux versions de La Guerre des boutons, avait évoqué un autre de ses duels entre films jumeaux dont le 7e art raffole. Stromboli contre Vulcano. Un duel qui s’étendait aux actrices Anna Magnani et Ingrid Bergman. La brune et la blonde. Le feu et la glace. Et, au milieu, un artiste nommé Roberto Rossellini. Il fut l’amant de la première et deviendra celui de la deuxième avant de l’épouser.
Depuis cet article, François-Guillaume Lorrain a creusé et développé l’histoire de ces trois monstres du cinéma du XXe siècle. Le résultat est ce récit de presque 400 pages qui se dévore en moins de temps qu’il ne faut pour dire «moteur» et «action».
Monstres sacrés
Car ces trois-là sont des écorchés vifs. «La» Magnani a un fils handicapé. Rossellini a perdu un fils et un père, suicidé à vingt-cinq ans. À côté, la Suédoise installée en Californie paraît saine. Pourtant, elle n’hésitera pas à sacrifier mari et fille pour vivre – revivre – en Europe. Car c’est aussi de cela qu’il s’agit dans L’Année des volcans, de résurrection. Pour y parvenir, ces êtres sont prêts à tous les sacrifices, à tous les coups bas. Rossellini est un maître en la matière. Il ment comme il respire, il embrouille à loisir, amis, amantes, collègues. Côté Américains, on ne décolère pas de voir Bergman en fuite avec un cinéaste quasi inconnu. Les patrons des grands studios, Goldwyn, Selznick, Zanuck et Howard Hugues, pas encore entré dans sa phase démente, en profitent pour régler leurs comptes. Chacun choisit son camp. Rossellini et Bergman d’un côté, Magnani de l’autre. On décide de monter deux films au scénario assez similaire. La guerre des ego est déclarée. C’est à qui ira le plus vite.
Le récit des deux tournages sur les îles voisines de Stromboli et Vulcano est savoureux. On est loin de Hollywood. L’Italie sort naufragée de la guerre, exsangue. Les actrices sont confrontées aux moustiques, au soufre, à l’inconfort. Le réalisateur d’origine allemande William Dieterle, chargé par Selznick de terminer son film avant Rossellini, tourne en gants blancs. L’Italien, lui, n’en prend pas avec Bergman, pourtant enceinte, qu’il gifle à tour de bras pour la mettre dans la peau d’une femme en souffrance. Chaque soir, au coucher de soleil, la Magnani grimpe sur les hauteurs de Vulcano et, tournant son regard vers Stromboli, hurle sa douleur. Cette lionne ne supporte pas d’être trompée, délaissée, humiliée.
Lorrain est sur tous les fronts. Patiemment, il ajuste les pièces de son puzzle. Entre ses personnages, il refuse de choisir, de condamner. Les autres s’en sont assez chargés. Une chose est sûre: avec ce diable de Rossellini, les deux femmes ont autant souffert qu’elles ont été heureuses. Loin de son emprise, de sa violence, elles se sont aussi bien épanouies. Magnani a reçu l’oscar de la meilleure actrice en 1956 pour l’adaptation de la pièce de son ami Tennessee Williams, La rose tatouée. Et Bergman a remporté la précieuse statuette l’année suivante pour Anastasia, d’Anatole Litvak.
Ces trois-là se déchireront mais ne se quitteront jamais vraiment. On pourrait leur associer le titre du film de Hitchock Les enchaînés. Bergman, remariée, aidera le père de ses enfants à se sortir d’un guêpier en Inde. Et Rossellini accompagnera dignement l’actrice de Rome ville ouverte,vdans son agonie. Le reste, c’est du cinéma!
«L’Année des volcans», de François-Guillaume Lorrain, Flammarion, 382 p., 20