Donné mort à plusieurs reprises, le fondateur et « émir de l’État islamique en Irak et au Levant » est bien vivant. Il l’a prouvé par plusieurs vidéos et, s’il avait été tué, l’État islamique l’aurait certainement annoncé et aurait nommé un successeur. D’ailleurs, il y a quelques mois, les Russes ont annoncé avoir tué un de ses fils au cours d’un accrochage dans la province de Homs, et l’État islamique n’a mis aucune difficulté à le reconnaître et à saluer la mémoire du « martyr ».
Sa localisation approximative est connue : à l’est de la Syrie, non loin de l’Euphrate à l’ouest et de la frontière irakienne à l’est. Cette zone est sous contrôle américano-kurde et les Syriens en sont interdits d’accès. Des mercenaires russes, aidés de milices pro-régime, ont bravé l’interdit, il y a plusieurs mois, en franchissant l’Euphrate et en se rapprochant de puits de pétrole occupés par les Kurdes. L’aviation américaine (officiellement aviation de la « coalition ») est aussitôt intervenue et les imprudents ont perdu plusieurs dizaines d’hommes.
Très mécontente de ce fiasco et de la perte inutile d’autant de combattants, l’armée russe a alors vigoureusement interdit à tous de franchir l’Euphrate, interdiction respectée depuis.
Ce vaste territoire au-delà de l’Euphrate est donc occupé, sans aucun mandat ni accord de qui que ce soit bien sûr, par des fantassins kurdes encadrés par des « conseillers » américains. Des Français des forces spéciales sont également présents, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire ici. Tout cela sous protection aérienne américaine.
Compte tenu de la portion de territoire assez réduite où le dernier carré de Daech se terre, y compris al-Baghdadi, les Américains étaient assez confiants : cette dernière offensive après la prise de Raqqa (au prix, d’ailleurs, de sa destruction totale) serait rapide, quelques semaines au plus.
Il a vite fallu déchanter : non seulement les islamistes se défendent avec acharnement mais, en plus, ils ont conduit des contre-attaques meurtrières, profitant à chaque fois de tempêtes de sable qui empêchaient l’intervention de l’aviation. Les Kurdes ont perdu des centaines d’hommes dans ces opérations et s’ils n’avaient pas un besoin vital des Américains pour éviter des attaques turques dans le nord, il y a longtemps qu’ils auraient plié bagage.
Les Américains, qui n’ont jamais rien compris au Proche-Orient (le chaos irakien est leur œuvre emblématique), n’ont pas mesuré l’impopularité des Kurdes dans cette zone exclusivement arabe. Leur autoritarisme brutal n’a fait qu’accélérer un processus inéluctable : de nombreuses tribus et villages sunnites aident les combattants de Daech par simple haine des Kurdes.
De ce fait, l’affaire traîne en longueur et la zone désertique à cheval sur la Syrie et l’Irak constitue une cache idéale car ce n’est pas un désert plat et sableux mais tourmenté et caillouteux, parsemé de multiples grottes.
De nombreuses tribus sunnites, situées à l’ouest de l’Euphrate, se sont ralliées à Damas depuis qu’elles ont compris que Bachar avait gagné la guerre. Pour étendre ce processus à l’est, il faudrait laisser l’armée syrienne reprendre le contrôle de son propre territoire.
Mais ce serait un aveu d’échec. Alors, en attendant, Baghdadi est toujours vivant.
Antoine de Lacoste – Boulevard Voltaire