Après la démission il y a quelques mois du cardinal Theodore McCarrick, ex-archevêque de Washington, pour avoir commis durant plus d’un demi-siècle des sévices sexuels envers des adolescents, des séminaristes et de jeunes prêtres, les catholiques américains furent laissés en état de choc. Lorsqu’au mois d’août dernier, on apprenait d’une enquête qui dura plus de deux ans que 300 prêtres avaient abusé de plus d’un millier de victimes dans six diocèses de Pennsylvanie, la colère vint s’ajouter à la consternation. Nombreux furent les laïcs qui exigèrent des sanctions à la hauteur du scandale. Le cardinal Donald Wuerl, archevêque de Washington – et successeur de McCarrick à Washington – devint leur cible privilégiée. Ils le transformèrent en test révélateur de l’attitude du Vatican : soit Wuerl est écarté, signe qu’en haut lieu des mesures énergiques sont à l’œuvre ; soit Wuerl reste et la gangrène a encore de belles années devant elle. Il y a moins d’une semaine, le pape François accepta la démission de Wuerl. Soulagement, espoir, confiance parmi les fidèles ? Non. Au contraire. Car ce retrait apparent n’est qu’une fausse démission, de la poudre aux yeux.
« Noble attitude »…
On aurait pu croire que les choses avaient réellement changé. Après tout, celui qui dirigea l’Eglise dans la capitale américaine durant de longues années remettait son titre et ses fonctions entre les mains de celui qui les lui avait donnés. Mais le pape se plut à entourer ce geste de quelques subtiles restrictions qui finalement le vidèrent de son sens. D’abord, François félicita le cardinal Wuerl pour sa « noble attitude », ses « remarquables qualités » de chef de diocèse et traita de « simples erreurs » les fautes gravissimes dont il est accusé. Ensuite, le cardinal, qui a 77 ans, n’est pas destiné à finir ses jours dans un lointain monastère. Il restera dans ses meubles à l’archevêché de Washington jusqu’à l’arrivée de son successeur qui n’est même pas encore choisi. Autrement dit, le cardinal Wuerl a toutes les chances de terminer son existence comme archevêque de facto de la capitale des Etats-Unis.
Enfin, qu’elles sont ses nouvelles fonctions ? Symboliques ? Dérisoires ? Pas le moins du monde. Il devient très officiellement « apostolic administrator » et continuera à avoir le dernier mot sur le choix des évêques – énorme pouvoir ; la clé du message et de l’édifice romain – non seulement aux Etats-Unis mais dans le monde entier. L’oreille du pape semble lui être définitivement acquise.
En Amérique, la déception s’avère immense chez les catholiques qui espéraient un assainissement dans l’Eglise. Le test se révéla négatif. Le cardinal sauve sa barrette. Et même bien davantage que sa barrette : tout le personnage qu’il fut. La mafia gay au Vatican estima que son recul dû aux révélations avait assez duré. Trop c’est trop. On ne touche pas au cardinal Wuerl. Et pourtant… Son nom ne fut-il pas cité plus de 200 fois lors de l’enquête en Pennsylvanie ? Lorsqu’il y fut évêque de 1988 à 2006, ne s’est-il pas interdit de dénoncer la coutume qui consistait à envoyer dans une autre paroisse un prêtre accusé d’abus sexuels ? Et lorsqu’il était l’adjoint direct de McCarrick à Washington, pourquoi n’a-t-il pas alerté les autorités vaticanes sur la conduite de celui-ci, dont il connaissait la vie privée dans les moindres détails ? Bref, Wuerl a été l’un des principaux rouages de la gigantesque omerta qui ternit l’institution ecclésiale.
Comme l’écrit Michael Matt, rédacteur en chef du journal catholique The Remnant et depuis 25 ans, chef d’un chapitre américain au pèlerinage de Chartres : « La solidarité du pape avec le cardinal Wuerl montre l’orchestration du sabotage de l’Eglise. »
Christian Daisug – Présent