L’effet d’entraînement aidant, nombreux furent ceux qui affirmèrent en 2013 que la Manif pour tous était l’incarnation d’une révolution conservatrice à la française, un Mai 68 conservateur, écrira même Gaël Brustier. C’était peut-être aller un peu vite. Loin de nous l’idée de minorer le formidable élan que firent naître ces manifestations, mais le coup d’éclat politique et médiatique qu’elles représentèrent ne suffit pas à transformer en profondeur une société. Pas même à former une minorité créative, convaincue et agissante qui est le préalable incontournable à une « révolution », qu’elle soit conservatrice ou non. Une révolution ne se paie pas de mots, elle s’incarne ou non à travers un mode de vie, des choix quotidiens, des actes qui comptent.
En cela, la réflexion menée par les Veilleurs sur ce que devait être un « agir chrétien » dans un monde qui ne l’est plus était peut-être la plus radicale, selon la pleine étymologie du mot. Veillée après veillée, ces agoras d’un nouveau genre posèrent les bonnes questions et apportèrent souvent les justes réponses. Ces cercles initiés par des trentenaires se mirent à relire Gustave Thibon, Jacques Ellul, Bernanos pamphlétaire et Saint-Exupéry philosophe. Et ils les relirent pour en tirer des enseignements, hic et nunc. Bien que peu nombreuse, une nouvelle génération d’intellectuels organiques et de dissidents était née.
Puis vint Le Pari bénédictin…
Il y a quelques jours un éditorialiste américain, Rod Dreher, montait épuisé dans l’avion qui le ramenait de Paris aux Etats-Unis. Epuisé, il l’était par une série de conférences, entretiens et tables rondes, menée tambour battant en une dizaine de jours. Il est rare qu’un essayiste catholique, qui plus est étranger, bénéficie d’un tel accueil. C’est que l’ouvrage qui venait de paraître était très attendu. Le Pari bénédictin – traduction de The Benedict Option, véritable succès de librairie aux Etats-Unis – pourrait être résumé comme la synthèse du modèle de contre-société catholique à laquelle travaillent tant d’amis de Présent depuis de longues années.
Pour soutenir ce choix de bâtir des sanctuaires – et non des forteresses comme font mine de le comprendre les apôtres zélés du vivre-ensemble – Rod Dreher s’appuie sur l’exemple des moines bénédictins. Ces hommes discrets qui se contentent d’appliquer fidèlement une règle de vie multiséculaire, sans quitter la clôture et dont le rayonnement est extraordinaire. Ils savent maintenir vive la source qui étanche la soif croissante de l’Homo numericus, atomisé et déboussolé. Soutenant la vie communautaire, les écoles hors contrat, les initiatives de réseaux professionnels et de solidarité, assumant une rupture avec la société telle qu’elle ne va plus, Rod Dreher n’a pas hésité à confronter ses positions aux partisans – vieillissants – de « l’ouverture inconditionnelle de l’Eglise au monde » qu’incarnait assez bien le professeur Jean-Luc Marion. S’il n’apporte rien d’absolument nouveau aux héritiers de la Cité catholique, Le Pari bénédictin a le mérite de donner un grand coup de pied dans la fourmilière cléricale où règne le politiquement correct et la culture de la défaite. Nous y reviendrons.
- Le Pari bénédictin, de Rod Dreher, éditions Artège.