Après avoir achevé Les Jumeaux du diable en juin 1928, Marcel Aymé reste plusieurs mois avant de trouver un nouveau sujet de roman. Il est employé à la Bourse du Commerce de Paris après avoir travaillé à l’agence Radio. En mars 1929, il annonce dans une lettre à son frère Georges, qu’il écrit un roman de la campagne depuis une semaine et compte le terminer en juin.
Avant de partir pour Dole, il remet le manuscrit sans titre à la Nouvelle Revue Française où il est jugé excellent. C’est à Dole, qu’il trouve le titre La Table-aux-Crevés. Gallimard souhaite un autre titre, mais finit par accepter le premier titre, suivant ainsi les avis d’André Malraux, d’André Gide et d’André Beucler. Le livre est édité fin octobre 1929. A cette époque, Marcel Aymé est employé de la compagnie Paris Exportation.
Le roman reçoit le Prix Renaudot en décembre 1929.
L’action du roman se déroule durant l’entre-deux-guerres (plus précisément en 1928) dans les villages voisins de Villers-Robert (Cantagrel) et de Seligney (Cessigney), ainsi qu’à Dole situé à 15 kilomètres de là. Marcel Aymé connaissait parfaitement ces lieux, pour avoir passé sa jeunesse chez ses grands-parents, Auguste et Françoise Monamy-Curie à Villers-Robert, puis chez sa tante Léa Cretin-Monamy, à Dole où il fit ses études secondaires au Collège de l’Arc. Seligney, situé à deux kilomètres de Villers-Robert, était le village d’origine de sa grand-mère maternelle, Françoise Curie.
Ce roman comporte deux intrigues qui finissent par se rejoindre.
A la suite du suicide par pendaison, de sa femme Aurélie, Urbain Coindet (de Cantagrel) est l’objet de calomnies de la part de sa belle famille, les Milouins qui l’accusent d’avoir assassiné sa femme.
A peine veuf, Urbain se met en ménage avec la jeune Jeanne Brégard (de Cessigney). Or le frère de celle-ci, Frédéric, qui sort de 6 mois de prison pour contrebande, se laisse persuader par le vieux Milouin qu’Urbain l’a dénoncé aux gendarmes et cherche à se venger.
Cette intrigue se déroule avec en toile de fond l’affrontement entre le village de Cantagrel peuplé de paysans de la plaine et dont le conseil municipal est républicain et anticlérical et le hameau de Cessigney, fief des cléricaux et dont les habitants sont des hommes des bois.
Au cours de la scène finale, Frédéric Brégard et son ami Louis Rambarde, armés de fusils, viennent à travers bois pour se venger. De son côté, Urbain Coindet et son ami Victor Truchot, tous deux étant également armés, commencent à faucher La Table-aux-Crevés, champ situé à la lisière du bois. Le drame ne peut être évité, mais c’est Capucet, le garde champêtre, l’innocent, aimé de tous, qui en est la victime.
Les thèmes :
- L’amitié.
- L’amour.
- La jalousie et la haine.
- Les affrontements entre cléricaux et républicains anticléricaux, à la campagne.
- Les querelles de clocher entre un village de paysans et un hameau de forestiers.
- L’opposition entre la vie citadine et la vie paysanne.
Les personnages :
Protagonistes du roman et personnages simplement évoqués, par ordre d’entrée dans le roman.
Aurélie Coindet : se suicide en se pendant au piton de la suspension de la cuisine. (p.215)
Urbain Coindet (34 ans) : le personnage central du roman, (de la classe 14) conseiller républicain, marié depuis 10 ans avec Aurélie. (p.216)
Victor Truchot : le meilleur ami de Coindet (p.217)
Bretet : le maquignon de Sergenaux qui a vendu la jument à Coindet (p.218)
La Cornette : Juliette, fille de l’Assistance publique, femme de Corne, tenancière du café épicerie du village (p.218)
Capucet (66 ans) : le garde champêtre, d’esprit simple, aimé de tous, amateur d’eau-de-vie, un des principaux personnages, jouant souvent le rôle de messager et agissant à son insu sur le cours de l’histoire (p.218)
Francis Boquillot : républicain, adjoint au maire de Cantagrel, vieil habitué du café de la Cornette (p.221)
Félicien Berger : matelot en permission, du hameau de Cessigney (p.221)
Louise Truchot : femme de Victor, qui va veiller Aurélie (p.223)
Génie Micoulet : dont le gendre s’était suicidé (p.224)
Les Milouin, la famille d’Aurélie : son père, Léontine sa mère et ses trois soeurs. (p.224)
Léon : l’ancien valet de ferme de Coindet, parti au service militaire (p.227)
Célestin Brunet : cousin de Louise Truchot, abattu d’une balle de Lebel en plein milieu de Cantagrel (p.233)
Frédéric Brégard (35 ans) : contrebandier qui sort de prison, frère de Jeanne Brégard, ennemi de Coindet (p.234)
Forgeral : le maire de Cantagrel, affilié au parti radical socialiste (p.235)
Joubert : de Cesigney, dont la maison a brûlé (p.238)
Louis Rambarde : ami et compagnon de chasse de Frédéric Brégard
Noré Toubin : ambitieux voulant entrer au conseil municipal, veuf de Joséphine depuis deux mois (p.241)
Deux gendarmes à cheval (dont le brigadier) : venus constater le décès d’Aurélie Coindet (p.243)
Noël Legeai : de Cessigney
Noëmi Coindet : vieille cousine de Coindet vient tenir son ménage après la mort d’Aurélie (p.245)
Jeanne Brégard (et son père) : jeune et belle, aux yeux bleus, de Cessigney. Elle aime et est aimée de Coindet (p.245)
Hilaire (5 ans) : jeune fils des Truchot (p.248)
Guste Aubinel : du parti opposé à Urbain (p.248)
Cherquenois : le menuisier souvent ivre (p.251)
Le Carabinier : fossoyeur et croque-mort (p.251)
Julien Souvillon : républicain exalté (p.250)
L’abbé Richard (25 ans) : nouveau curé de Cantagrel, une attachante figure de prêtre (p.251)
La grande Clotilde à Rivard : mandatée par les Milouin pour espionner Coindet, affichant un certain rigorisme bien que n’étant pas un modèle de vertu (p.253)
Le pauvre Cugne : beau-frère de Louise Truchot, trompé par sa femme (p.254)
Philibert Boulier : catholique de Blévans, habitué de la rue des Prisons (maison close) à Dole (p.261)
Noël Frelet : chantre à l’église, âgé et rhumatisant (p.262)
Nestor Aubinel : le plus jeune des garçons de Guste Aubinel (p.262)
Joseph Coindet (40 ans) : le frère aîné d’Urbain (p.265)
La Clémence : cousine de Noëmi Coindet, habitant Blévans du côté de chez Plumon (p.275)
Les Musot : le vieux Coindet, grand père d’Urbain, avait marié une fille de Sergenaux déjà parente aux Coindet en retirant par les Musot (p.275)
Jeantet : le brigadier de gendarmerie, ancien sergent d’Urbain au 276e (p.279)
La Marie à Cugne : femme de Cugne (p.282)
Marcheraux à Blévans : dont le taureau n’est pas fiable (p.283)
Moïse Pottier : fabricant de porcelaine hygiénique, conseiller général, maire du chef lieu de canton, propriétaire foncier et officier d’académie (p.285)
Léon Aubinel : tué d’un coup de fusil par vengeance, 30 ans plus tôt, alors qu’il rentrait du service militaire (p.294)
La Bossue de la Maison-Neuve : qui disait entendre des voix et avait passé 30 années à initier les galopins de Cantagrel (p.295)
Juste Blondet : compagnon évoqué par Urbain, tué au 60e, en 1914-18 (p.306)
Les propriétaires de la chambre de la rue Pasteur : un retraité des chemins de fer (PLM à l’époque) (p.310)
Porteret : gendarme, collègue du brigadier Jeantet, ayant participé à l’arrestation de Frédéric Brégard (p.312)
Hortense Aubinel : signale le retour de Coindet aux gens de Cantagrel (p.314)
Le Léon Débuclard de Blévans : mort la semaine précédente selon Capucet (p.324)
Tonton Joubert (6 ans) : qui se bat avec Hilaire Truchot (p.332)
Mathilde Joubert : mère de Tonton et sœur de Rambarde (p.332)
Tiercelin : dont la maison a brûlé avant le guerre (p.336)
Sans oublier :
La jument grise panarde que Coindet a achetée à la foire de Dole. (p.216)
La Brunette : une vache de Coindet, qui porte le veau depuis six mois (p.304)
La Rouge : une vache de Coindet, qui doit faire ses 15 litres de lait (p.323)
Les lieux :
Dole : traditionnellement ville marché et ville de foire. Urbain Coindet rentre de la foire de Dole lorsqu’il découvre l’Aurélie pendue dans la cuisine (p.216).
Le Champ Ressuyé : que Coindet a envie de mettre en pré (p.220)
Le café épicerie de la Cornette (p.220)
Cantagrel (Villers-Robert) : village de paysans de la plaine « les hommes du plat », où Coindet est membre du conseil municipal républicain (p.220)
Cessigney (Seligney) : hameau voisin de Cantagrel, proche du bois, peuplé de forestiers « les hommes du bois », où le parti clérical est dominant (p.221)
Le village de Seligney n’ayant pas d’église, est rattaché à la paroisse de Villers-Robert disposant d’une église et d’un cimetière – les deux communes n’ont fait qu’une, à une certaine époque.
Le Champ-Debout : que Coindet a fini de planter mardi (p.227)
La Table-aux-Crevés : champ où Coindet a travaillé la veille (p.227)
La Levée-de-César : un reste de voie romaine (traversant Villers-Robert, en direction de Poligny et de Salins). (p.234)
Blévans : village imaginaire, où habite le frère d’Urbain Coindet (possible analogie avec Brevans, faubourg de Dole)
Sergenaux : authentique village de la Bresse comtoise, de 35 habitants en 2007 (p.245)
La rue des Prisons à Dole : aboutissant au champ de foire, derrière le théâtre municipal, célèbre pour sa maison close avec la traditionnelle lanterne rouge (p.261)
Le bois de l’Etang : entre Cessigney et Cantagrel (p.268)
Le Creux-Romain : lieu où Corne pêche le brochet (p.283)
La Corne-Sèche : lieu-dit touchant le hameau de Cessigney (p.285)
Roye-les-Bois : village voisin de Cessigney (analogie avec Villers-les-Bois) (p .286)
Bertenière : village voisin de Cessigney (analogie avec Bretenières) (p.289)
Les Creux-Blet : où Léon Aubinel a été tué alors qu’il faisait boire ses bœufs (p.294)
Rue Pasteur : anciennement rue des Tanneurs à Dole (p.303)
La Grande-Pierre-des-Trois-Sentiers : au pied de laquelle, Jeanne fait le veux d’enterrer des offrandes (p.310)
Les vieilles rues montant de l’hôpital au palais de justice de Dole: Coindet, quittant la rue Pasteur, emprunte la rue Bauzonnet qui monte, en longeant l’Hôtel Dieu et rejoint la rue des Arènes où se trouve le Palais de Justice, dans l’ancien Cloître des Cordeliers.
Presse et travaux :
Ambrière, Francis : “Le Jour des prix”. Nouvelles littéraires (7 déc. 1929)
Ambrière, Francis : “Le Prix Renaudot à Marcel Aymé”. L’Européen (11 déc. 1929)
Anonyme : “Latest works of fiction. Peasant feudists. The Hollow field by Marcel Aymé”. The New York Times (1933, April 9)
Aubry, Mathilde : “L’amour et la haine dans Brûlebois, La Table-aux-Crevés, La Jument verte”. Mémoire. Dir.:Catherine Mayaux. Université de Franche-comté, année 2000-2001. …. Présenté in: Cahier Marcel Aymé n°19-20 (2002) : 237
Billy André : « La Table-aux-Crevés » de Marcel Aymé. L’œuvre 26 novembre 1929.
Bost, Pierre : “Billet à Marcel Aymé”. Nouvelles littéraires (21 déc. 1929)
Holt, Edgar: ‘‘Tales from Four Countries – The Strange River, by Julien Green, The Hollow Field by Marcel Aymé…’’ The Bookman (U.K.), March 1933, p. 504
Marcel, Claude-Henri : « Marcel Aymé ou le bon sens paradoxal ». The French Review 1951 (Oct.), Vol.XXV, n°1 : pp. 1-9 (page 3)
Margueritte, Victor : La Volonté (1930)
Mayaux, Catherine : « La mort dans trois romans de Marcel Aymé : Brûlebois, La Table-aux-Crevés, La Jument verte ». Littératures contemporaines n°5: 151-166. Editions Klincksieck (1998)
Prévost, Jean : “La Table-aux-Crevés”. N.R.F. n°34 (janv. 1930)
Citations :
« La liberté, pour Coindet, c’était d’envoyer promener ou de mépriser platoniquement des contraintes. Et voilà qu’il ne se sentait plus obligé à aucune règle. »
La Pléiade vol.I, page 273.
« Quand une chose plaît, tout ce qu’on en peut dire de mal, c’est du bruit dans le vent. »
La Pléiade vol.I, page 281.
« Le curé haussa les épaules, fâché d’avoir oublié que le monde était fait exprès pour les hommes ».
La Pléiade vol.I, page 295.
« L’affaire faite, disait-il, le boniment n’est plus que fatigue. »
La Pléiade vol.I, page 305.
« Coindet n’avait pas un regard pour les vieilles maisons de la Comté espagnole où les épouses de jadis s’engraissaient doucement derrières les fenêtres aux barreaux ventrus en attendant le plaisir de quelques serviteur basané de Sa Majesté catholique. »
La Pléiade vol.I, page 311.
« Truchot avait des notions très fermes sur l’évolution sentimentale des valeurs arithmétiques du mariage. Il pensait que les solidarités de nourriture sont les assises essentielles de l’amour conjugal, la faribole par-dessus le marché ».
La Pléiade vol.I, page 324.
« La vie du bois n’est pas la vie de la plaine et il craignait que la fille des bûcherons ne réussit péniblement au jeu de patience des responsabilités domestiques ».
La Pléiade vol.I, page 326.
« La Jeanne leva ses longs yeux bleus où dansaient des lueurs d’argent, et Coindet fit le signe de la croix, frappé d’une épouvante obscure, comme si le regard de ces yeux étranges eût charmé des hasards ».
La Pléiade vol.I, page 349.