Enfin une biographie de François Brigneau!!!

 

Paraît ces jours-ci, dans la collection « Qui suis-je ? » chez Pardès, une biographie de François Brigneau, écrite par  Anne Le Pape. Les bonnes feuilles, évidemment, se devaient de paraître dans Présent, dont Brigneau a été l’un des fondateurs. (Précision : François Brigneau, de son nom de naissance Well Allot, a aussi utilisé le pseudonyme de Julien Guernec.)

Unknown-5Drame franco-français

Emmanuel Allot, le père de Well [François Brigneau], est une figure d’autant plus complexe qu’un certain drame franco-français a influé sur son sort.

Il est né le 4 janvier 1893 à Concarneau, dans une famille de onze enfants, dont trois morts en bas âge. Il a été baptisé catholique – les femmes des « bleus », c’est-à-dire des républicains, obtenaient le plus souvent de leur mari la permission d’élever chrétiennement leurs enfants. Ainsi en est-il pour Francine, la femme d’Ambroise. L’avant-dernier de leurs enfants, Emmanuel, est l’orgueil des Frères Quatre-Bras de Saint-Joseph et sert la messe à Saint-Guénolé.

Mais on est en 1902, sous le gouvernement d’Émile Combes, fortement anticlérical. La sœur aînée d’Emmanuel, qui s’appelle Francine comme sa mère, vient de décrocher le brevet élémentaire qui va lui permettre de gagner sa vie et d’aider sa famille en devenant institutrice stagiaire… à certaines conditions. Un inspecteur de l’école publique met le marché en main devant sa mère : les laïcs doivent faire front, aider le gouvernement de M. Combes, ne plus soutenir l’ennemi, c’est-à-dire l’école des prêtres. La future institutrice ne doit plus fréquenter l’église et son jeune frère, brillant sujet, doit rejoindre l’école communale. Sinon, lui seront préférées de jeunes enseignantes plus conformes à l’idéal républicain…

Le grand frère

Well Allot [François Brigneau] n’a jamais lu un numéro de Je suis partout avant la guerre mais, une fois à Paris, il découvre dans cet hebdomadaire les éditoriaux de Robert Brasillach. Pourquoi lui spécialement ? Parce qu’il en aime le style, l’écriture, ce mélange d’humour et de tendresse, de gentillesse et d’intelligence. Il goûte Notre avant-guerre et le théâtre du jeune écrivain. En septembre 1943, celui-ci prend ses distances avec l’équipe de Je suis partout. Jusqu’alors la ligne du journal, foncièrement anticommuniste, était de considérer comme seule viable la politique de collaboration avec l’occupant allemand. Brasillach, constatant que les forces de l’Axe perdent du terrain, estime que la collaboration doit prendre un autre cours. Ses anciens amis montent alors une campagne contre lui. Well lui écrit, tout simplement, pour lui dire de ne pas avoir de chagrin, que le plus courageux, c’est lui, et qu’il est dans la vérité. Robert, profondément touché par le ton de cette lettre, prend contact avec son jeune lecteur. Ils sont voisins : Brasillach habite rue Rataud avec sa sœur, Suzanne, et son beau-frère, Maurice Bardèche. Well n’oubliera jamais le premier dîner rue Mouffetard, l’auteur de Notre avant-guerre arrivant avec une bouteille de Bourgueil glissée dans la poche de sa canadienne…

La Fronde

La grande presse passionne Julien [François Brigneau], mais il lui est impossible d’y exprimer son opposition frontale aux mensonges du jour. Pour ce faire il fonde, avec Maurice Gaït et Léon Gaultier, La Fronde – écho du David de son enfance ? –, organe des petits contre les puissants. On y trouve Antoine Blondin, Jean Pleyber et Bernard Borval. Gaït précise, dans le programme du journal : « On peut se trouver, le combat terminé, plus près d’un adversaire loyal que d’un ami douteux. Du moins faut-il, de part et d’autre, avoir cru à ses idées et lutté pour elles. » La Fronde se centre sur deux grands thèmes : l’Europe à faire et l’Indochine à garder. Julien en dessine la maquette et en assure la mise en page. Pour la première fois, il utilise aussi le pseudonyme de François Brigneau, un ravissant petit port de Bretagne-Sud qu’il aime beaucoup, pour signer des chroniques cinématographiques.

Afin de pouvoir écrire, Well a dû prendre un pseudonyme, Julien Guernec. Mais pour exprimer ses idées, il ne lui vient pas à l’idée d’en changer, afin de se protéger. Il se met ainsi en danger, mais ressent comme une nécessité intérieure le besoin d’écrire ce qu’il pense réellement, et il veut le faire à visage découvert.

La Fronde rencontre un certain succès. Les papiers sont écrits la nuit dans l’amitié et la bonne humeur. Mais certains de ses numéros circulent à France-Dimanche et, s’ils amusent les uns, il en est d’autres qu’ils irritent. Julien est « viré » du journal, tout simplement, du jour au lendemain. Légalement, étant « indigne national », il n’a pas le droit de travailler dans une entreprise de presse. Il prend ses affaires : un sous-main, trois carnets de notes – « le baluchon du journaliste non résistant, donc non existant, pèse encore moins lourd que celui du prisonnier ».

A Minute

Les annonceurs publicitaires ne se bousculent pas. Le soutien du journal à l’Espagne franquiste ne lui vaut aucun « placard » d’Ibéria. Il ne peut compter que sur ses propres forces. Il gêne : en mai 1971, Le Nouvel Observateur appelle à « des manifestations de masse » contre Minute. L’hebomadaire de Devay connaît une suite ininterrompue d’attentats : incendie des archives rue du Croissant, en décembre 1963 ; bombe contre l’immeuble de l’avenue Marceau en mai 1971, voiture piégée en août 1974, plasticages en février 1975, en août 1982, celui-là revendiqué par Action directe, et un autre en avril 1985. Les voisins surnomment l’immeuble « Beyrouth sur Seine ». Sans oublier, en juin 1968, une bombe posée chez Jean-François Devay, et une autre chez François Brigneau à Saint-Cloud, en juin 1972, blessant gravement l’éboueur qui a le malheur de ramasser le sac contenant l’engin explosif : il y perd une main et la vue, sans que cela émeuve les grandes consciences de la presse… Sabine et les enfants, qui ont été eux aussi menacés, font bloc autour de lui. Après discussion, « il n’est venu à l’esprit de personne que je puisse renoncer à la défense de ce que je crois être la vérité », écrit François, qui ne cède pas au chantage. « Il serait dérisoire de changer d’allure parce que cette voix, justement, gêne quelques misérables. »

Littérature sportive

Si le sens de la mer est venu à François Brigneau quand il était tout jeune, la technique, il l’a beaucoup apprise dans les livres, surtout dans ceux de Jean Merrien, dont la lecture a joué un grand rôle dans sa formation de plaisancier. Plaisir de la mer et Possession de la mer sont pour lui des modèles du genre. Mais François ignore que Jean Merrien, qu’il a rencontré à Paroles françaises, est aussi un auteur de romans policiers et qu’il l’a « croqué » dans un cadre maritime au fil d’un récit. Dans L’abbé Garrec aux mains des durs, signé René Madec et paru à La Bonne Presse en 1958, apparaît « François Brigneau, le fameux écrivain et journaliste, venu en escapade chercher, à titre de bref repos, une tempête d’hiver “comme dans son enfance”, [qui] manquait doublement son objectif : la tempête, car il faisait “un temps de sainte Vierge”, et ce repos car, fébrilement, il gribouillait un sensationnel papier, avant d’aller le téléphoner à l’un de ses canards, un hebdomadaire qui “tournait” le lendemain. »

Les « Breiz atao »

Pour autant, Brigneau n’a jamais été autonomiste breton et, adolescent, se moquait même de ceux que l’on appelait les « Breiz atao ». Plus tard, il a pris conscience de la valeur de leurs arguments, sans adhérer pour autant à un séparatisme qui ne lui paraît pas souhaitable. Lorsqu’il écrit Mon après-guerre, en 1966, il est partisan d’une sorte de fédération de provinces en France, qui jouiraient au moins de la liberté des États qui forment les États-Unis. C’est l’époque où il pense que ce serait le seul moyen d’empêcher la province de mourir, l’époque aussi où il est pour l’Europe. Dans les années qui suivent, il abandonne progressivement l’idée d’une nécessaire décentralisation, de peur qu’elle n’entraîne la désagrégation nationale, comme il abandonne son souhait pro-européen.

À l’occasion des campagnes en faveur des séparatistes basques – côté espagnol – menées en 1971 par les bonnes consciences françaises, il note que « s’ils se trouvaient de notre côté, on leur montrerait moins d’égards. Ainsi, dans ma province, les autonomistes bretons ont été condamnés à mort sans qu’à Paris saigne le cœur si sensible des hommes de plume et de micro. L’abbé Perrot, qui fut abattu parce qu’il croyait à la Bretagne libre, quelle grande conscience nationale son martyre a-t-il bouleversée ? » Il se trouve que par hasard, il a croisé le chemin de l’abbé Perrot, le fondateur de Feiz ha Breiz – Foi et Bretagne – au cours de l’hiver 42-43, en gare de Morlaix. Se souvenant de cette rencontre fortuite bien des années plus tard, il dira n’avoir jamais oublié le regard du prêtre et l’impression de sérénité, de rayonnement et de simplicité qui émanait de lui.

Le contre-révolutionnaire

L’enfant qui a appris à lire dans un gros livre à couverture de toile rouge intitulé Petit Pierre sera socialiste, élevé au sein d’une famille qui se voulait d’esprit révolutionnaire, devrait avoir le culte des Grands Ancêtres. Devenu François Brigneau, est-ce par une brusque volte-face qu’il anime, à l’époque du bicentenaire de 1789 et sous la responsabilité de prêtres traditionalistes, un mensuel contre-révolutionnaire ? Ou peut-on déceler plus tôt les prodromes de cette opposition à la Révolution ?

Il se trouve que la grand-mère maternelle du petit Allot nourrit une sorte de culte pour Marie-Antoinette. Sans doute sous son influence, son petit-fils, très tôt, déteste les Révolutionnaires, leur attitude grandiloquente, leur verbiage, leurs mots creux. L’adolescent a la Terreur en horreur : il écrit, en alexandrins, un tableau de la mort de Marat qui fait de Charlotte Corday une héroïne nationale. Il éprouve du dégoût pour ces mois où la guillotine joua à guichet fermé, sans jamais lasser le public. « Contre-révolutionnaire de tripes et de sentiments j’étais, déjà, un émigré de l’intérieur, » notera-t-il. La conférence émouvante qu’il donnera le 21 janvier 1989 à la Mutualité, narrant la mort de Louis XVI, sera donc dans la droite ligne de ses intuitions d’enfant.

Le journaliste
Toute sa vie, Brigneau a fait le métier qu’il aimait, pour lequel il était fait, et en a été profondément heureux. Réagir à chaud à l’événement lui convient, il se complaît dans son rôle de « chroniqueur de l’instant ». La plupart des écrivains vivent du journalisme et consacrent le temps qui leur reste à rédiger leurs livres. François, dès le départ, a éprouvé plus de plaisir à faire du journalisme que des livres. Rares sont ceux qui arrivent à faire une œuvre du journalisme : Brigneau l’a réussi. L’ensemble de ses articles constitue le journal d’une vie, journal intérieur et extérieur, expression d’une sensibilité et d’une intelligence aux aguets qui ne néglige rien.

Ici je vous dois un aveu. Je n’ai jamais connu les affres de la page blanche. Le métier de journaliste ne les permet pas. On y est toujours en retard, toujours pressé. Le journal n’attend pas. Il voudrait que ce soit fini avant d’être commencé. Plus vite. Plus vite. La qualité y perd. La spontanéité y gagne. On se dit que plus tard, à la retraite, on aura le temps de soigner. Ce n’est pas vrai. On court à la fin du livre, comme on courait à la fin du papier, sans scrupules ni remords. Avec quelques regrets. Et encore… Le pli est pris.
François Brigneau. Inédit, extrait d’une conférence sur la jeunesse préparée pour des étudiants qui n’a jamais eu lieu.

Anne Le Pape signera son livre le dimanche 7 septembre, aux journées chouannes de Chiré, et le samedi 13 septembre à la librairie Duquesne, 27 av. Duquesne à Paris VIIe.

Elle présentera son livre à l’émission Voix au chapitre de l’abbé de Tanoüarn, sur Radio Courtoisie, le mercredi 10 septembre à 10 h 45.

Lu dans Présent

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