Le projet de loi anti-djihad, en cours d’examen à l’Assemblée nationale, prévoit notamment des mesures qui ciblent des cyber-djihadistes. L’Express a cherché à comprendre comment les premier visés y réagissent.
Parmi les nouveaux djihadistes, certains se mettent en scène sur les réseaux sociaux.
Ce djihadiste qui se revendique de l’Etat islamique est prévoyant. Son cinquième profil Facebook est bloqué pour 30 jours par le site? Pas de problème: il lui reste le septième. Et, si ça ne suffisait pas, il pourra encore utiliser le quatrième, qu’il vient de réussir à réactiver… “Même moi j’ai du mal à suivre”, s’amuse-t-il sur le réseau, provoquant l’hilarité générale chez ses contacts.
Comme lui, de nombreuses figures de la djihadosphère doivent régulièrement créer de nouveaux profils lorsque leur comptes sont suspendus par la plateforme. Rien de rédhibitoire: ils se contentent d’ajouter un nouveau chiffre romain (II, puis III, puis IV et ainsi de suite…) derrière leur pseudo pour pouvoir s’y repérer. Puis retrouvent, en un rien de temps, les centaines de contacts évaporés après intervention de Facebook.
C’est dire si le blocage des sites qui font l’apologie du terrorisme, une des mesures phases du “plan anti-djihad” examiné cette semaine par les députés, fait trembler les djihadistes sur les réseaux sociaux. Ces derniers ont l’habitude de contourner la censure en multipliant les profils et les sites de diffusion de leurs messages. Ils savent aussi que leurs plateformes préférées ne sont pas hébergées en France et ne sont donc pas directement visées par la loi.
“Ils censurent partout en ce moment”
A défaut d’empêcher complètement la diffusion de certains messages, les blocages opérés par Facebook, YouTube ou encore Twitter ralentissent tout de même leur propagation. “Deen” a à peine eu le temps de partager, le 12 septembre dernier, des vidéos de l’Etat islamique (hébergées sur YouTube) qu’un internaute lui signale leur suppression du site dans les commentaires. Il lui faudra attendre près de six heures qu’on lui envoie un autre lien pour pouvoir la visionner.
De quoi agacer les djihadistes, nombreux à publier des messages de protestation. “Sale sioniste, Zukenberg [au lieu de Zuckerberg, nom du créateur de Facebook, ndlr] . T’as supprimé ma page, fumier, par contre des pages où il y a des femmes à poil ou autres tu supprimes pas!”, éructe l’un d’entre eux. “Ils censurent partout en ce moment, ils même ont censuré plusieurs comptes sur VK [VKontakte, le Facebook russe, ndlr] et Twitter”, peste un autre.
Pas de quoi ébranler leurs convictions pour autant. “Trop de musulmans ont le syndrome de Stockholm, ils se plaignent que Satan est méchant”, ironise un prêcheur sur Facebook. “Vous pensez quoi? Qu’on va nous laisser librement, en terre de koufr [mécréants, ndlr], chez eux, proclamer LAILAHA ILLA LAH [‘rien ne mérite d’être adoré sauf Allah’, ndlr]?”
La peur des “infiltrés”
Un autre volet du plan anti-djihad pourrait inquiéter la djihadosphère. Parmi l’arsenal de nouvelles mesures, on trouve en effet la généralisation des enquêtes sous pseudonyme. Soit des cyberflics qui s’efforcent de pénétrer les réseaux radicaux. “On peut créer des faux profils, il y a une habilitation sur formation pour cela”, expliquait à L’Express en juin dernier le commandant Pierre-Yves Lebeau, de la direction centrale de la PJ.
Cette méthode a tendance à rendre particulièrement méfiants les intéressés. Lundi, un djihadiste publie sur son compte Facebook une demande d’interview envoyée par un journaliste de BFM TV reçue dans sa messagerie. Plusieurs autres indiquent dans les commentaires avoir reçu la même demande. “Son nom sort pas sur Google, ça sent le RG…”, avance très vite l’un d’entre eux. Le journaliste envoie alors une photo de sa carte de presse (où il masque son nom de famille et d’autres informations personnelles), sans vraiment convaincre.
Sur Facebook, il n’est pas rare de voir un “frère” être accusé d’être un “infiltré” des autorités françaises. Ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes d’éthique religieuse à certains. “Attention, toucher l’honneur d’un musulman est très grave”, prévient un prêcheur sur le réseau social. “Vu qu’on est en période de trouble, il faut se méfier”, rétorquer un autre.
Les djihadistes ont toujours été méfiants vis-à-vis des journalistes occidentaux, à qui ils reprochent d’avoir une approche trop partiale du sujet. “Quand ils savent qu’il y aura un traitement objectif, qui ne colporte pas de rumeurs, qui tient compte des gens et de leurs codes, ils acceptent”, note cependant le journaliste David Thomson, spécialiste de la question, dans une interview à Rue89. Le contexte actuel, et notamment la récente arrestation du “djihadiste de clavier” Mourad Fares, les rend encore plus prudents, pour ne pas dire paranoïaques.