Au début du XIXe siècle, quelques mécaniciens, ingénieurs et fabricants de tulle originaires de la région de Nottingham émigrent sur le continent pour fuir une période de trouble économique et social et tenter de faire fortune. Certains s’implantent à Calais, important en fraude métiers à tisser et coton filé. Grâce aux évolutions technologiques – l’adaptation du système Jacquard au métier à tulle et la machine vapeur -, Calais et son modeste faubourg Saint-Pierre vont se transformer en moins d’un siècle en capitale de la dentelle mécanique Leavers.
La dentelle de Calais trouve ses origines en Angleterre. A la fin du XVIIIe siècle, ce pays connait un essor économique extraordinaire, vivant au rythme des inventions technologiques. Dans le domaine textile, la région de Nottingham devient un grand centre de production de tulle mécanique grâce notamment à Lindley, Heathcoat et Leavers qui développent la technologie du métier à tisser le tulle.
Ainsi, au début du XIXe siècle, les Anglais sont les seuls capables de réaliser un tulle en coton à maille hexagonale régulière. Très à la mode en France, ce tissu léger ne peut cependant pas y être commercialisé, sauf par la contrebande ! Les guerres franco-britanniques et surtout les années de blocus et de prohibition vont affaiblir l’industrie anglaise. Le manque de débouchés et le trop grand nombre de fabricants de tulle provoquent déjà une crise de surproduction dès 1813 ; des ouvriers s’organisent en bande pour casser les métiers qu’ils jugent responsables de leur chômage : c’est la “révolte des Luddites”.
Face à cette période de trouble économique et social et au protectionnisme du marché français (loi d’avril 1816), certains fabricants de tulle décident de migrer vers le continent. En quittant l’Angleterre, ils échappent par la même occasion aux redevances d’exploitation des brevets anglais. La délocalisation clandestine de leur outil de production s’effectue essentiellement en direction de Douai, Lille, Saint Quentin et Rouen, villes à forte tradition textile. Mais, la proximité géographique du Calaisis avec l’Angleterre attire aussi les Anglais.
Dès 1816, ils installent des petites unités de production de tulle dans Calais intra-muros. Rapidement, le manque de place et les nuisances sonores du travail nocturne contraignent les fabricants à développer leur activité dans le faubourg maraîcher de Saint-Pierre-lès-Calais. L’adaptation du système Jacquard au métier à tulle et l’arrivée de la machine à vapeur dans les années 1835/40 font passer la production à l’ère dentellière industrielle. En moins d’un demi siècle, Saint-Pierre devient une ville cosmopolite prospère et dépasse en nombre d’habitants Calais, au point que les deux villes fusionnent officiellement en 1885.