La guerre du camembert

Depuis le 1 er mai, la moitié du cheptel des fermes qui fournissent les producteurs de camemberts AOP doivent être de race normandes. Dans le même temps, les autorités reprennent l’offensive pour régler la question de l’appellation « fabriqué en Normandie » vilipendée par les amateurs.

La vache normande, reconnaissable par sa robe blanche et marron, est de retour ! Depuis le 1er mai 2017, le cahier des charges du camembert appellation d’origine protégée (AOP) de Normandie impose cette race locale. C’est la dernière exigence, souhaitée par les professionnels, pour mériter la reconnaissance française (AOC pour contrôlée) et européenne (AOP) depuis 1992. Jusqu’à présent, aucun critère de race du cheptel n’apparaissait. Désormais, la vache normande, doit représenter un pourcentage minimum du troupeau : 50 % pour le Camembert de Normandie.

Vache plus rustique

Les trois autres fromages AOP de Normandie (Livarot, Pont-l’Evêque et Neufchâtel) ont fait de même : 50 % pour le Pont-l’Evêque, 60 % pour le Neufchâtel et même 100 % pour le Livarot.Mieux adaptée à la vie à l’herbe, la « Normande » est plus rustique et peut pâturer plus longtemps (au moins 6 mois dans l’année). Moins productive en litres, elle donne un lait plus riche, plus concentré et d’une excellente qualité fromagère.

Engagé depuis plus de dix ans pour permettre aux éleveurs d’adapter leur cheptel, ce changement de règle, mené sous l’oeil de Bruxelles, est désormais la règle. « Ce nouveau critère valide la promesse faite aux consommateurs. Cela rapproche le camembert de Normandie avec les vaches de Normandie. C’est gravé dans le marbre », se félicite Charles Deparis, président de l’association de gestion des appellations d’origine laitières, présent aux dernières Rencontres de Cambremer (Calvados), le festival des AOC/AOP les 29 et 30 avril 2017.

« Camembert de » contre « fabriqué en »

La « normandisation » du cheptel est un élément de plus pour la distinction d’un fromage à pâte molle, le plus consommé de France, qui se bat contre les imitations. Produit exclusivement à base de lait cru, moulé à la louche en 5 passages, espacé de 40 minutes, le camembert « de Normandie » est le seul à bénéficier de l’appellation origine protégée. Mais en coulisse se déroule une véritable bataille, celle des « camemberts de Normandie » contre les « camemberts fabriqués en Normandie. » Ce dernier, n’a pas de cahier des charges. Il peut être fabriqué à partir de laits pasteurisés ou microfiltrés venant d’autres régions ou pays. Cette mention veut simplement dire que le fromage a été fabriqué dans une usine du Calvados ou de la Manche. Toléré de 1992 à 2002, c’est ce « Fabriqué en », inscrit sur les boîtes, qui est l’origine du combat mené depuis 15 ans par les producteurs AOP.

Règlement européen

Une situation qui n’est pas très claire pour les consommateurs. « Je suis déterminé à ce que cette mention qui entraîne de la confusion soit supprimée. C’est une usurpation de notoriété. Nous demandons l’application de la loi qui protège nos appellations », souligne Patrick Mercier, président de l’association de défense et de gestion du camembert de Normandie. En décembre l’organisation a voté une résolution demandant aux pouvoirs publics de prendre des dispositions.

L’article 13 du règlement européen dispose que les appellations sont protégées contre toute utilisation commerciale, usurpation, imitation ou évocation, « dans la mesure où cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée. »L’imposante production de camemberts des grosses usines laitières par rapport au faible pourcentage de camemberts AOP n’effraie pas pour autant les producteurs normands.

Dans le viseur de ces derniers, les grands industriels qui, même s’ils produisent des camemberts AOP (comme Savencia ou Lacatalis, devenu leader sur ce segment), veulent continuer à utiliser la mention Normandie.

Réunion de concertation

« La situation ne peut pas perdurer, il faut sortir de cette ambiguïté. Nous devons trouver une solution stabilisée et conforme à la réglementation communautaire », annonce Marie Guittard, la nouvelle directrice de l’INAO (devenu Institut national de l’origine et de la qualité), l’organisme chargé d’assurer la reconnaissance et la protection de l’origine des produits agricoles ou agro-alimentaires.

La médiation tarde. Le 4 mai au siège de l’INAO, une 3ème réunion mais n’a pas permis d’aboutir à une solution. Un délai d’une dizaine de jours a été accordé pour faire de nouvelles propositions. « J’ai reçu mandat en décembre 2016 pour y mettre un terme en mai 2017 », affirme Patrick Mercier. La menace d’un boycott plane.

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