George Andrew Romero s’en est allé ce dimanche dernier en son ultime demeure, alors qu’il commençait à titiller les quatre-vingts printemps. Quoi qu’on puisse penser de sa filmographie, cet aimable zinzin hollywoodien demeurera toujours un irremplaçable cinéaste.
Ainsi, il est d’immenses réalisateurs ayant donné lettres de noblesse à tel ou tel genre. Pas de western sans John Ford ou Raoul Walsh. Pas de péplum sans Vittorio Cottafavi ou Riccardo Freda. Mais il n’est pas donné à tout un chacun d’inventer un genre cinématographique à part entière.
Romero, lui, c’était le film de morts-vivants. Ne rigolez pas, amis lecteurs. Avant lui, il n’y en eut pas, si ce n’est ce White Zombie des années trente, signé de Victor et Edward Halperin, ayant plus trait aux légendes de ce vaudou en vogue au sein de nos chères Antilles françaises qu’à la thématique sociale dont le défunt Cubano-Américain se fit une indéniable spécificité.
Car sans lui, pas de séries télévisées à la Walking Dead… Ne cherchez pas, Romero a inventé le « truc ». L’enfer est encombré. Nous le vivons sur Terre… Beau comme une chanson de Damia, quand la Dame en noir (bien avant Piaf) rappelait les droits des morts sur les vivants, demandant aux premiers de sortir de leurs tombes dans sa chanson plus que poignante, consacrée à la Grande Guerre : « La Malédiction »…
Mais le « truc » en question, c’est que les morts ne peuvent demeurer vivants qu’en mangeant de la chair humaine ; belle invention scénaristique, mais promise à impasse dramatique : quand tout le monde aura mangé tout le monde, qui mangera qui ?
1968. Déflagration cinématographique que ce film, La Nuit des morts-vivants, fort d’un budget d’à peine plus de cent mille dollars ; une simple aumône, à l’époque. Tourné sur plus d’un an, les acteurs étant tous plus ou moins bénévoles. Du troupeau sort la première « black star » hollywoodienne, Duane Jones, beau comme un dieu, les photos d’alors en témoignent.
Mort en 1988, ce dernier a toujours affirmé que sa couleur de peau n’avait rien à voir avec son engagement dans le film en question. En effet, entre deux publicités pour cigarettes cancérigènes, Duane Jones enseigne aussi le théâtre à l’université de New York, coordonnant au passage une bourse d’État placée sous les augures de Martin Luther King.
Cela tombait bien, sachant que, seul survivant de La Nuit des morts-vivants, il est le dernier à se faire buter par une milice de braves gens n’aimant que de loin les Noirs-vivants. Ce film aurait pu rendre George Romero riche, si seulement il avait songé à en déposer les droits, avant qu’ils ne tombent dans le domaine public. Vieux tropisme cubano-catholique voulant que l’argent puisse poser problème ? Il est vrai que dans ce monde du show-biz, ne participant que modérément du vaticanisme de tradition, il ne partait pas forcément gagnant – financièrement, s’entend.
Néanmoins, notre homme persévère. 1978, la suite, avec Zombie 2, où les derniers humains encore à peu près en état de marche se claquemurent dans un centre commercial, assiégés par d’autres zombies, anciens clients du même temple, eux aussi en proie aux vieux réflexes : consommer pour oublier que l’âme se consume aussi, même en période de soldes : plus noirâtre, on ne fait pas…
Dans Land of the Dead, George Romero va jusqu’au bout de son propos. Une citadelle de riches et de bien-pensants, assiégée par les gueux. La sublime pirouette de cet éternel anarchiste ? Avoir confié le rôle du maître de la citadelle à Dennis Hopper, biker défoncé d’Easy Rider qui, après des années d’errances gauchistes autant que narcotiques, devint le meilleur ami de Donald Rumsfeld, faucon d’entre les faucons néo-conservateurs…
À la tienne, cher George ; comme aurait dit un autre Jojo, tout aussi inclassable ; Brassens, je crois.
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire