Les trois stades du totalitarisme démocratique

Au fur et à mesure que se font jour, d’une façon foisonnante à vrai dire, les critiques vis-à-vis du progressisme moderne (Lasch, Michéa, Onfray, Finkielkraut, Scruton, Bellamy, Zemmour, Delsol, Tillinac, Koenig, Muray, Gauchet, Manent, Debray, Houellebecq, Zemmour, Guilluy, Bock-Côté, et d’autres encore), il apparaît de plus en plus clairement que celui-ci n’est pas uniquement une doctrine politique comme une autre, mais une dérive totalitaire de la démocratie.

La différence entre autoritarisme et totalitarisme étant que le premier tend à interdire l’action, alors que le second veut interdire la pensée, le totalitarisme, contrairement à ce que l’on croit, s’accommode parfaitement de la démocratie. Si elle est trop souvent sacralisée, comme étant la forme de gouvernement politique par excellence, elle est pourtant très facile à dévoyer. Il suffit pour cela que le processus de sélection des élites se resserre jusqu’à une petite consanguinité (ce qui est aisé lorsque les organes de formation « élitistes » sont peu nombreux, et que par ailleurs l’ascenseur social ne fonctionne plus), puis que ce groupe tienne les 4 rênes du pouvoir : le politique, l’économique, la justice et l’information. Lorsque ceci est atteint, quoi que l’on fasse, et quoi que l’on vote, on retrouvera les mêmes personnes qui feront peu ou prou les mêmes choses, pour leur intérêt spécifique, bloquant en particulier l’échange politique en le réduisant à une série de raisonnements et d’injonctions impératifs et auto justificatifs. Ça s’appelle bien une dérive totalitaire.

Les tentatives féroces et désespérées, de la part de nos élites au pouvoir, pour imposer la « pensée unique » et le « politiquement correct » par tous les moyens, y compris par l’emploi de techniques langagières conçues spécifiquement pour désinformer les populations (cf. Ingrid Riocreux), ou pour diaboliser leurs contradicteurs, ne peuvent que confirmer cette impression. Nous en avons de fait, sous nos yeux, les conséquences sociales : l’asservissement des peuples par ces petits groupes dominants. C’est en cela que le mouvement des Gilets Jaunes est si révélateur, et il n’est guère étonnant, dans un tel contexte, qu’il soit traité politiquement d’une façon aussi violente et irrespectueuse.

Ce dévoiement totalitaire de la démocratie peut se résumer simplement. Il tient dans le fait que la démocratie est basée sur le principe de liberté, mais que, sans que les personnes ne s’en rendent vraiment compte, les priorités ont été inversées : on a mis l’homme au service de la liberté, et non pas la liberté au service de l’homme. En même temps qu’on faisait de la liberté, en théorie, un absolu, dans la pratique, on l’a détournée et dévoyée. On a ainsi enfermé l’homme dans une caricature de liberté, un système au service des puissants, dont nous voyons les effets. Comment cela s’organise-t-il ? A travers la notion de « concurrence », corollaire de la liberté. Lorsqu’elle est avérée, lorsque les principes de liberté et de concurrence sont supérieurs au principe de primauté des personnes, alors les forts se jettent sur les faibles, garantis par la « sécurité » idéologique que leur assure le fait que rien ne doit s’opposer au sacro-saint principe de liberté.

Dans un Etat « normalement constitué », démocratique ou non, il existe une sorte d’alliance, implicite ou explicite, entre l’Etat et le peuple. Par ce fait, le peuple remet entre les mains de l’Etat l’usage de la violence légitime, pour qu’il assure pour le compte du peuple la protection à l’extérieur, et l’ordre et la justice à l’intérieur (l’ordre étant la garantie de la justice, faute de quoi elle est inopérante), afin que tous, forts comme faibles, soient traités avec la même équité. Ainsi, le « tropisme » naturel de toute société, le déséquilibre du rapport forts/faibles en faveur des forts, est contenu. Lorsque le chef de l’Etat joue correctement son rôle, il exerce un « mandat de justice » qui tient la société en paix. Lorsqu’il l’exerce mal ou avec faiblesse, les paroles pour tous et les actes pour les forts, il agit sans l’avouer comme un protecteur des oligarchies. Il exerce alors un « mandat-alibi » qui porte en germe de graves déséquilibres sociaux. C’est ce qui se passe aujourd’hui en France.

On peut constater cette dérive totalitaire de la démocratie, mise en œuvre par le progressisme, dans trois domaines principalement : le domaine socio-économique, le domaine culturel, sociétal et civilisationnel, enfin le domaine sexuel et domestique.

Dans le domaine socio-économique, après une période de naïveté, où le libéralisme radical a pu conquérir les esprits grâce aux opportunités multiples qu’il semblait proposer (ouverture des frontières, mondialisation, technologie, modernisation, etc…), sa face sombre a commencé à apparaitre, grâce aux travaux de Guilluy notamment, et on s’est aperçus que nonobstant la « liberté » et la « démocratie », supposées garantir la concorde et la prospérité pour tous, une bonne partie du peuple vivait néanmoins de façon appauvrie, déclassée, oubliée et même disqualifiée, politiquement et médiatiquement, dans les ghettos « périphériques ». Grâce à la révolte des Gilets Jaunes, cette prise de conscience de la fracture sociale provoquée par le dévoiement totalitaire, sur le plan économique, de la liberté, n’est aujourd’hui plus à faire.

Dans le domaine culturel, la prise de conscience est en cours. Le problème est en effet plus récent, car sous l’effet d’une période de l’histoire, post-guerres mondiales, clairement plus pacifiste, les opinions ont pu croire aux bienfaits de l’ouverture en grand des frontières, de l’immigration, même incontrôlée, et du multiculturalisme. A cette naïveté et à cet irénisme, doublés de politiques folles d’abandon volontaire de nos racines, de notre Histoire, de notre patriotisme, et même de notre Education Nationale, le communautarisme musulman est venu apporter une réponse à la fois catégorique sur le plan doctrinal et social et longuement mûrie sur le plan politique, potentiellement très dangereuse. Nous sommes en train de nous apercevoir que nous sommes en plein dans une guerre culturelle (cf. Jean-Frédéric Poisson: L’islam à la conquête de l’Occident), et que nous n’y sommes pas du tout préparés. Bien plus, nous avons détruit consciencieusement nos armes culturelles, et nous continuons à le faire. Là aussi, les déconvenues apparaissent, et elles vont être de plus en plus sérieuses lorsque les « fractures » et les séparatismes, qui suivront évidemment les communautarismes, vont véritablement se mettre en place. Dans ce domaine aussi, donc, la liberté « sans frontières » imposée comme un absolu totalitaire détruit les structures traditionnelles, au profit d’un désordre où les forts sont les seuls gagnants, protégés qu’ils sont pas « leurs digicodes et les écoles privées de leurs enfants » (cf Guilluy).

Mais un troisième domaine, trop peu étudié, est celui de la sexualité. En effet, ici comme ailleurs, apparaissent d’abord les « avantages » initiaux, apparemment agréables, de l’utilisation d’une liberté sans limites et sans tabous. La sexualité « libre-service » a effectivement, au départ, un côté attirant… Cependant, ici comme ailleurs, peu à peu, la gravité de la situation commence à se faire jour, même si, pour beaucoup, le détournement totalitaire de la liberté, en matière sexuelle, n’a pas encore été compris. Il produit ses effets dans deux domaines :

L’un est le rapport entre hommes et femmes. Ainsi, on n’a pas tiré les bonnes leçons de la célèbre affaire Weinstein, dont on a fait, selon la lecture féministe, non pas l’histoire d’un prédateur sexuel riche et puissant, mais un symbole de la domination « éternelle » des hommes sur les femmes. Bien au contraire, il me semble qu’elle est surtout le symbole du caractère extrêmement violent de la société sexuelle « libre-service » voulue par le progressisme, où les forts, hommes ou femmes, homos ou hétéros, blancs ou noirs, jeunes ou vieux, peuvent impunément se jeter sur les faibles, et d’abord sur les enfants. Vouloir ainsi concilier une telle société avec une répression accrue de la pédophilie est évidemment une vue de l’esprit, et même un alibi.
L’autre domaine dérive du précédent, c’est celui de l’éducation. Ici, on commence aussi, peu à peu, à voir les effets désastreux de la déséducation, puisqu’évidemment, on ne peut concevoir une éducation maîtrisée et de qualité en même temps que l’on fait tout pour désagréger les couples. Ainsi, ce que nous installons progressivement, c’est la barbarie des comportements des prochaines générations, et la société tout entière le paiera extrêmement cher. Ce qui se prépare en effet dans la « fission nucléaire » domestique, c’est le déchaînement d’une violence qui sera sans commune mesure avec ce que nous avons connu jusqu’ici.
On a voulu, d’abord, par le libéralisme radical, détruire les liens économiques « traditionnels » au service de tous. La devise primitive du commerce était « vivre et laisser vivre » (ses fournisseurs, ses clients et même ses concurrents). Ainsi, l’écosystème économique était préservé. Aujourd’hui, elle est remplacée par celle du libéralisme, « vivre et laisser mourir », ou même « vivre et faire mourir ». Elle détruit sous nos yeux tout l’écosystème économique, mais on n’en a cure.

Dans le domaine social et culturel, on veut détruire toute notion de frontières et d’identité nationale ou civilisationnelle (*). En effet, avec les GAFAM et la mondialisation, le «fantasme Coca Cola » (un seul produit pour 7 Milliards de clients) s’est enfin réalisé. L’équation s’écrit : « toujours moins de frontières = toujours plus de profits ». Il n’est pas question que cela s’arrête.

Dans le domaine sexuel, le but de l’affaire est tout aussi simple : détruire toute notion du « couple traditionnel », considéré comme un frein à l’établissement d’une société « liquide » dans tous les domaines et d’abord, bien sûr, économique. A mort les humbles petites familles centrées sur leurs enfants, vive les DINK (**) !

Ma conclusion est qu’il ne suffit pas de détecter la dérive totalitaire de la démocratie en matière économique ou culturelle, si on oublie de le faire en matière sexuelle et éducative. Tant que l’on ne porte pas le fer également dans ce domaine, rien ne peut véritablement être réformé. Le comportement sexuel, selon qu’il est “anthropologique”, au service de l’enfant et de la famille, ou bien “libre-service”, au service unique de l’assouvissement des désirs, détermine en effet un type de société, soit une société humaine, équilibrée, structurée et pacifiée, soit une société “libérale”, totalitaire, “orwellienne”. La dénonciation du caractère totalitaire du progressisme est un tout.

François Martin

(*) A ce titre, l’incendie de Notre Dame de Paris est un signe prophétique. Et la « croisade » présidentielle pour la rebâtir semble bien hypocrite.

(**) Double Income No Kids.

Les 4 vérités

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