L’école de la rue Saint-Guillaume rachète l’hôtel de l’Artillerie, propriété de la Défense. Une opération immobilière de 200 millions d’euros qui fait grincer des dents. C’est l’une des plus grosses ventes immobilières parisiennes de l’année. En dépit des critiques de la Cour des Comptes, cet hiver, pointant l’incertitude financière de cette opération, Sciences Po s’offre – avec l’accord de l’État (1)- les 14000 mètres carrés de l’hôtel de l’Artillerie, place Saint-Thomas-d’Aquin (VIIe). Le déménagement est prévu pour 2021. Ces bâtisses du XVIIe siècle incluant un cloître, partiellement classées, appartiennent au ministère de la Défense. Selon le patron de Sciences Po, Frédéric Mion, le coût de d’acquisition est de 93 millions d’euros. Avec les travaux dans le bâtiment, la restructuration, les déménagements, le coût final de l’opération devrait grimper à 200 millions d’euros. L’idée de Frédéric Mion qui a cheminé depuis trois ans était de rationaliser son parc immobilier en abandonnant 16 immeubles en locations sur les sites que Sciences Po occupe actuellement dans Paris et qui coûtent très cher (autour de 9 millions d’euros). «Cela nous permet de créer un campus oxfordien en plein centre de Paris, regroupant dans un même bâtiment tous nos masters», explique-t-il.
A terme, l’hôtel de l’Artillerie regroupera donc toutes les écoles de Sciences Po: l’école de droit, de commerce, de journalisme. Le directeur promet des salles numérisées, une salle de plaidoirie, une salle de rédaction, une salle des marchés, une bibliothèque, une cafétéria. Les chercheurs et les services administratifs côtoieront également, grande nouveauté, quelques logements pour les étudiants boursiers. Cette idée d’un campus doté du cachet des beaux bâtiments de l’hôtel de l’Artillerie permettra aux sept bâtiments de Sciences Po -dont le plus célèbre, celui de la rue Saint-Guillaume- de n’être plus distants que de 200 mètres les uns des autres dans un «esprit de campus» à l’américaine. Une stratégie d’attractivité internationale adoptée par d’autres institutions universitaires internationales comme la London School of Economics (LSE) à Londres ou Columbia University à New-York, auxquelles Sciences Po aime se comparer. Il est vrai que l’entrée de l’hôtel, via un cloître est plutôt chic: l’immeuble était au départ un ancien noviciat des Dominicains.
Selon Frédéric Mion, l’opération est entièrement autofinancée par Sciences Po par un emprunt de trente ans grâce à des économies de loyers (il va être mis fin aux seize locations, ce qui couvrira 85 % du coût total). le reste devrait être couvert par une campagne de levée de fonds. «L’État n’est donc pas sollicité pour le financement, qui repose sur la capacité de l’établissement à se développer selon un modèle économique soutenable», affirme Sciences Po.
Cet hiver, alors que les tractations étaient encore en cours, la Cour des comptes émettait toutefois un signal d’alerte sur le financement. «Sciences Po retient dans ses prévisions pluriannuelles pour 2014-2018 des progressions de 90 % pour la formation continue et de 160 % pour le mécénat, qui apparaissent volontaristes à la Cour. À partir de 2020, ces incertitudes pourraient être renforcées par la réalisation du projet d’acquisition du site de l’hôtel de l’Artillerie(…) Comme toute opération d’ampleur, ce projet peut comporter des risques de sous-évaluation des coûts, si la programmation, le calendrier et les coûts prévisionnels des travaux de rénovation qui devront être engagés pour transformer un bâtiment administratif en lieu d’enseignement, ne sont pas tenus.»
De son côté, le député Jean-Louis Dumont, président du Conseil de l’immobilier de l’État (CIE) sans remettre en cause le «très intéressant» projet de Sciences Po craint que l’État ne soit «une fois plus le dindon de la farce à Paris» et parle d’un prix de vente «minimisé». «Nous estimons qu’en vente libre sur le marché, ce bien peut être évalué à 120 millions d’euros. Science Po avait proposé dans un premier temps de l’acheter à 80 millions d’euros. Même si c’est 93 millions d’euros, cela reste un prix d’ami, j’espère que ce n’est pas un prix de coquin. Il ne faudrait pas que l’État fasse les frais de l’opération». Et de rappeler qu’un immeuble mitoyen de la ville de Paris vient d’être vendu «beaucoup plus cher au mètre carré».
Aux diverses critiques, Sciences Po a plusieurs fois répondu que la valeur du bien était «bien moindre» que 100 millions d’euros, notamment en raison des travaux nécessaires. L’école affirmait par ailleurs que «si la Cour souligne à juste raison l’aléa inhérent à des travaux de restructuration, il faut rappeler que des études approfondies ont été menées, dans le cadre d’un dialogue contradictoire avec France Domaine, pour évaluer le montant des travaux et que les risques de dérapage ont été dûment modélisés dans le cadre du montage financier de l’opération (…) Le projet de l’Artillerie est en réalité un levier majeur pour consolider à moyen et long termes le modèle économique de Sciences Po. Il constitue avant tout une opération essentielle de rationalisation immobilière».
Seule certitude, avec l’hôtel de l’Artillerie, Sciences Po élargit son patrimoine immobilier qui avait déjà fortement augmenté à l’époque de Richard Descoings avec les anciens locaux de l’ENA, rue de l’université et l’hôtel particulier du 9 rue de la Chaise. Dans ce jeu de Monopoly, l’IPAG, une école de commerce privée devrait reprendre l’un des bâtiments libéré par Sciences Po.
NB: 45% des ressources de Sciences Po venaient en 2014 de l’argent public selon la Cour des comptes. Le reste vient notamment des droits d’inscription des étudiants.