Les aéroports de Toulouse et Nice, privatisés quand Emmanuel Macron était ministre de l’Economie, font face à des complications administratives et judiciaires. Ces péripéties posent en conséquence des questions sur la privatisation prévue d’APD.
La Cour administrative d’appel a fait savoir le 16 avril, dans un communiqué, qu’elle avait «annulé les décisions ayant eu pour objet la cession par l’Etat à la société Casil Europe de 49,99% des parts du capital de la société anonyme Aéroport de Toulouse-Blagnac» (ATB). Elle a toutefois ajouté que cet arrêt n’avait pas d’effet sur l’application du contrat de cession.
La cour avait été saisie par trois syndicats : la CGT, FSU et Solidaires, opposés à la privatisation. Ils contestaient la privatisation partielle d’ATB qui avait permis au groupe chinois Casil d’acquérir 49,99% de la société de gestion de l’aéroport.
Ils arguaient que «l’offre indicative» (initiale) avait été déposée par Casil associé à la SNC Lavalin, mais que l’offre finale n’avait été présentée que par le groupe Casil. La Cour leur a donné raison mardi sur ce point et a annulé la décision de céder à la société Casil Europe les parts du capital, l’autorisation du ministre chargé de l’Economie du 7 avril 2015, ainsi que l’arrêté ministériel du 15 avril 2015.
Cela revient à dire que la Cour a constaté des irrégularités dans la procédure d’appel d’offres, et annule le choix du repreneur sans contester la privatisation en elle-même, matérialisée par le contrat de cession passé le 7 avril 2015 entre l’Etat français et la société Casil Europe créée par un groupe public chinois un fonds d’investissement hongkongais.
Victoire pour les syndicats de salariés opposés à la privatisation
Cela signifie aussi que trois décisions de Bercy prises pendant qu’Emmanuel Macron était ministre de l’Economie (août 2014-août 2016) ont été frappées de nullité. On peut enfin y voir une mise en garde quant aux conditions de l’appel d’offres que devra passer l’Etat français s’il décide de vendre les parts (50,6%) qu’il détient encore dans ADP, l’exploitant des aéroports parisiens, comme la loi Pacte adoptée récemment l’y autorise .
Pour Christophe Lèguevaques, l’avocat des trois syndicats, c’est une «victoire complète» et il estime que «le juge administratif ne pouvait pas aller au-delà». Décidé lui, en revanche, à aller plus loin et à remettre en cause la privatisation, il explique : «C’est la procédure de sélection du candidat qui a été annulée, pas la vente en soi. Pour la vente, c’est le tribunal du commerce de Paris qui est habilité à se prononcer. Je vais le saisir dans les semaines à venir.»
Pascal Boureau, élu qui représente le département de la Haute-Garonne au conseil d’administration de l’aéroport, estime que cette décision «gèle le projet présumé de vente» des parts de l’actionnaire chinois et assure que «les acheteurs potentiels vont y regarder à deux fois».
En effet, en début d’année, Casil avait mandaté la banque Lazard pour recevoir des offres d’investisseurs prêts à reprendre sa participation dans ATB. L’Etat qui souhaitait vendre la totalité des parts en a conservé 10,01%. Les autres actionnaires, à hauteur de 40%, sont la région, le département, la métropole de Toulouse et la Chambre de commerce et d’industrie (CCI).
Une encombrante autorité administrative indépendante
Mais les ennuis se sont aussi accumulés pour le consortium Aéroports de la Côte d’Azur (ACA), deuxième société aéroportuaire française après Aéroports de Paris. Choisi en même temps que Vinci, a qui ont été attribuées des parts de l’aéroport de Lyon, les repreneurs de l’aéroport de Nice viennent de voir le montant de leur taxes aéroportuaires refusé par l’autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires (ASI). Le 3 avril dernier, la nouvelle autorité administrative indépendante (née en 2016) leur a imposé une baisse des redevances aéroportuaires facturées aux compagnies aériennes de 33%.
Les redevances aéroportuaires, c’est-à-dire les droits d’utilisation des pistes et aérogares font partie du domaine régulé. Et l’autorité administrative est habilitée à émettre des avis non seulement sur le rapport entre ces redevances et le service rendu, mais aussi sur une notion sujette à interprétations : la juste rémunération des capitaux investis.
Cela promet des questions importantes sur la privatisation d’ADP et sur le montant des redevances que le repreneur tentera d’imposer aux compagnies aériennes. Parmi elles Air France premières utilisatrice de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle.
Avant même sa privatisation, la question des futurs tarifs d’ADP contrariée
En effet, la question de l’homologation des tarifs des aéroports est cruciale et, en principe, l’ASI jouit sur ce point d’une indépendance réelle vis-vis de l’Etat. Au moment de la création de l’ASI, sa présidente Marianne Leblanc-Laugier citée par le quotidien économique Les Echos soulignait que bien que les cinq membres de l’ASI fussent tous issus de l’administration, ils étaient «nommés pour 5 ans, irrévocables et n'[avaie]nt d’instruction à recevoir d’aucun ministre».
Début janvier, l’ASI a d’ailleurs imposé à ADP, où l’Etat est encore actionnaire majoritaire, de réduire la hausse prévue de ses redevances, à la demande des compagnies aériennes. Une indépendance gênante et qui pourrait être en partie remise en cause par certains points de la loi Pacte qui seront fixés par des ordonnances.
C’est en partie pour cette raison que certaines compagnies aériennes redoutent de voir cette autorité privée de son influence. Selon notre confrère La Tribune, le syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) a exprimé, lors d’une conférence de presse en début de semaine, la «crainte de voir l’ASI remplacée par une autre autorité».