Faut-il encore présenter Roger Bichelberger ? Dans une République des Lettres digne de ce nom, la réponse serait négative. Un sondage à la sortie des églises de France et de Navarre devrait confirmer cette reconnaissance. Et pourtant, ô combien est désespérant le constat ! Barrès, en son temps, pleurait l’état de délabrement de nos églises, qu’en est-il aujourd’hui de nos bibliothèques poussiéreuses, de l’écho réservé par la Fille aînée de l’Eglise à ses porte-drapeaux ? Très attaché à la Vierge Marie l’auteur, « chrétien qui écrit » et non « écrivain chrétien », a publié une dizaine d’essais de spiritualité et de recueils de prières, ainsi qu’une vingtaine de romans.
Une vie passée à écrire sur les gens, l’amour, la nature, Dieu et la Lorraine. Bichelberger est le type même de l’artisan besogneux, inscrivant son œuvre dans le temps. Témoin de nos nuits, de nos errances, de la fragilité de nos existences, d’un quotidien pas toujours très glorieux, d’une humilité à conquérir.
Dans ce dernier livre, sorte d’autobiographie spirituelle voire de testament, se dessine le portrait d’un homme simple, d’un baptisé engagé dans la vie de la Cité, au plus près de l’Evangile. S’il porte en lui l’innocence de ses personnages ou la naïveté des chrétiens dits « de gauche », sa vie et la conformité d’icelle avec les préceptes de notre sainte mère l’Eglise en font un éveilleur de conscience, une âme vaillante. Un porteur de vérité avançant calme et droit dans les tempêtes d’une vie riche de rencontres, de joies mais aussi et surtout de doutes, de souffrances, d’incompréhensions. Un écrivain d’une époque, celle de Vatican II, des espoirs qu’elle fait naître. Une écriture qui privilégie la réflexion et la profondeur. La qualité d’âme et l’émotion pour traiter du mal, de l’amour rédempteur face aux êtres précipités dans le chaos, l’acte de « kénose » de Dieu dans l’humanité. Percevoir au quotidien l’invisible dans le visible.
Son éducation chez les pères marianistes y est pour beaucoup : faire naître le merveilleux des existences simples et tendre vers la métanoïa. Ses lectures également, et des auteurs comme Mauriac, Bernanos, Julien Green, Daniel-Rops mais aussi et surtout Bourbon Busset, l’aristocrate écrivain, ou son amitié pour Andrée Chédid et l’immense José Cabanis. Comme le reconnaît l’auteur, la grâce de la pauvreté lui a été offerte pour le préserver du risque de ce qu’Olivier Clément, le théologien orthodoxe français, appelle le « somnambulisme ordinaire », pour lui permettre de vivre en état d’éveil, de disponibilité : « Si j’avais été riche, voyez-vous, jamais je ne serais devenu le mendiant de fleurs que j’ai été. J’ai eu beaucoup de chance en naissant pauvre, juste assez pour pouvoir dire avec Jean Chrysostome ces mots repris par Taizé en un refrain connu : “Ô pauvreté, source de richesse”… »
Patrick Wagner – Présent
Roger Bichelberger, Si j’avais été riche, Editions Salvator, 184 pages, 18,50 euros, 2016.