Pagnol / 40 ans déjà !

Il y a 40 ans que Marcel Pagnol, s’en est allé…

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Par Alain Sanders*

S’il ne fallait qu’une seule raison de lire – et de relire – La gloire de mon père (et les deux livres qui lui font suite Le château de ma mère et Le temps des secrets), nous la trouverions dans cette phrase extraite de la préface : « Ce n’est qu’un témoignage sur une époque disparue et une petite chanson de piété filiale, qui passera peut-être aujourd’hui pour une grande nouveauté ». Et encore : Ils étaient mon père et ma mère de toute éternité et pour toujours.

Oui, La gloire de mon père est d’abord cela : un livre de piété, l’amour filial d’un petit garçon devenu grand mais qui n’oublie pas qu’il fut ce petit garçon et que ce petit garçon fut aimé.

Le père, c’est Joseph Pagnol. Le cinquième enfant d’un tailleur de pierres de Valréas, près d’Orange. Sorti de l’Ecole Normale d’Aix-en-Provence à 20 ans. Devenu instituteur public. La mère c’est Augustine. Une petite couturière brune qui se maria jeune et dont Pagnol nous dit : « Elle n’avait que dix-neuf ans, et les eut toute sa vie ».

Les enfants ? Le petit Paul et Marcel. A qui son père – il a alors dix ans – offrit un jour les livres de Fenimore Cooper et de Gustave Aymard. Et qui compose alors un Chant de mort d’un chef comanche (paroles et musique) en huit couplets. En voici un : »Adieu prairie/La flèche ennemie/A désarmé mon bras vengeur/Mais sous la torture/Mon cœur reste pur/ Et étonne le voyageur ».

Autre personnage clef, le savoureux Oncle Jules. Originaire du Roussillon et qui roule les « R » comme un ruisseau roule les graviers. « Mon père et lui faisaient une paire d’amis et jamais on n’abordait le grand sujet sinon par des allusions discrètes : l’oncle Jules allait à la messe », écrit Pagnol. L’oncle Jules allait à la messe et était royaliste quand Joseph Pagnol, républicain tendance « hussard noir » de la République, n’y allait pas. Heureux temps où celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas* encore pouvaient être une paire d’amis et montrer dans leur vie quotidienne, une même rigueur morale…

De la préface – préface lumineuse – de La gloire de mon père, on retiendra encore ces lignes : « Le lecteur – je veux dire le vrai lecteur – est presque toujours un ami. Il est allé choisir le livre, il l’a emporté sous son bras, il l’a invité chez lui. Il va le lire en silence, installé dans le coin qu’il aime, entouré de son décor familier. » C’est la magie de la lecture.

Et quand ce livre est La gloire de mon père, ou Les contes du Lundi d’Alphonse Daudet, ou David Copperfield de Charles Dickens, la magie devient ensorcellement. Et si l’on aime avec le cœur le Tom Sawyer et son copain Huckleberry  Finn de Mark Twain, on aime avec le cœur et l’âme Marcel, le petit Paul et leur complice des garrigues, de ces garrigues qui annoncent aux petits écoliers « le parfum futur de Virgile », le petit paysan-roi des papillons, Lili des Belons, qui ira mourrir dans l’enfer de la Grande Guerre.

« Nous étions des Indiens, des fils de la Forêt, chasseurs de bisons, tueurs de grizzlis, étrangleurs de serpents-boas et scalpeurs de Visages Pâles », écrit Pagnol. Mais, le soir, quand il rentre avec son frère – rebaptisé Pawnie..- à la Bastide Neuve, c’est le grand chef – le père –  qui les reçoit : Tous les enfants du Grand Manitou sont des frères : que les chefs partagent notre pemmican ! Nous leur demanderons seulement de respecter les coutumes sacrées des Blancs : qu’ils aillent d’abord se laver les mains !

Le moment le plus touchant de ce grand livre de souvenirs ? Celui des bartavelles, bien sûr, celui qui a donné son titre même au livre. Le père de Pagnol, Joseph, qui a manqué des perdrix qui « voulaient se suicider », est en butte aux sarcasmes de l’oncle Jules qui l’accuse d’avoir raté des bartavelles « aussi grandes que des cerfs-volants ». Sauf qu’il ne les a pas ratées ! Et que Marcel, pisteur émérite comme le sont tous les lecteurs de Fenimore Cooper, les a retrouvées. Bondissant sur la pointe d’un cap de roches, il brandit les trophées : « Il les a tuées ! Toutes les deux ! Il les a tuées ! » « Et dans mes petits poings sanglants d’où pendaient quatre ailes dorées, je haussais vers le ciel la gloire de mon père en face du soleil couchant. »

** Cinquante livres (et plus) que vos enfants doivent avoir lus, Alain Sanders, édition Godefroy de Bouillon

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