D’une Pieta, de Goya et de l’œuvre en général

Dire que « les œuvres réalisées du temps où il se cherchait étaient un début ! » est un truisme en forme de litote, plus ou moins gentille pour faire rendre gorge à l’aréopage
« goyassien » qui réunit ces jours-ci une tribune diffamatoire contre le père qu’ils prétendent goûter, comme si d’un commun accord les plus grands spécialistes des œuvres du maître madrilène, experts connus et reconnus, mais que presse l’urgence mercantile du bon scoop, s’étaient donné rendez-vous à une de ces agapes nécrophages dont la petite toile du musée Bisontin (cannibales dépeçant leurs victimes) serait la prémonition parricide.

Sachez le donc, aujourd’hui, si vous tombez nez à nez avec une malheureuse Piéta au formalisme atterrant, sans pâte, sans touche, sans dynamisme, sans élan, sans esprit, sans rien, attribuée jusque-là à Francisco Bayeu y subias, accessoirement maître de Goya, sachez le, cette misérable toile d’un genre sulpicien avant l’heure, il faudrait dire croûte, sorte de chromo du XVIII ° aragonais, vient de passer selon un collège d’experts du maître à l’élève !

Dans tous les cas, s’il y a paternité effective – ce dont nous doutons ! –, elle ne fut revendiquée ni en signature, ni en testament, et de là à dire qu’elle fut honteusement cachée voir désavouée, quand on sait le caractère du maître, il n’y a qu’un pas !

Que Goya ait pu trouver cette toile soit par trop immature, soit par trop commune, soit par trop conforme au goût d’un jeune homme cherchant à s’illustrer dans un monde excessivement reployé – celui de son Saragosse natal –, est une éventualité, sur laquelle on ne peut s’en tamponner le coquillard sans risquer de se mettre le doigt dans l’œil ! Oui, comme pour toutes les âmes sensibles, nostalgiques par essence – « prisonnières d’un dictat qui s’en va bien que refusant avec raison les extravagances d’un monde qui vient ! » –, l’ingénuité de la jeunesse aura pu, aura dû sans doute commettre Goya à rêver le jaillissement d’une flamme intérieure sur des styles, des genres et des thèmes ayant fait long feu, et sa fuite à Madrid, un peu trop pressante à notre goût pour un tout jeune pater familias croulant sous les commandes, semble corroborer la thèse d’une aporie expérimentale à faire prendre la braise appétente mais trop froide sur son vieux lit de cendres.

Il faut dire que l’art, s’il n’est jamais que l’expression d’une vigueur, ne peut habiter les formes sociales vaines et à la complexion débile, ayant in fine perdu… toute vitalité.

Pour en avoir trop soupé dans les bols à mixtions d’un père plus artisan qu’artiste – qui pour mémoire était doreur à la célèbre basilique du Pilar –, Goya mit encore des années à se dessucrer l’arrière goût stylistique d’une esthétique réchauffée aux archaïsmes inquisitoriaux d’une église scandaleuse, une église n’ayant pour le coup rien à voir avec la charité mozarabe d’un Isidore de Séville et ses formidables élans historiés. Pour preuve des atermoiements coupables du jeune et moins jeune Goya, j’en veux les séries commises sous l’oeil prépotant d’un Bourbon inquiet, peintes pour partie à la camera obscura, bien que finies sur le vif, et qui mériteraient à peine pour nous l’étiquette d’œuvre d’art, malgré l’espoir toujours possible d’un jaillissement suscité par la fureur d’une touche « libérée ».

Pourtant, libéré, Goya ne le fut véritablement qu’à la fin, par les relâchements immuables que procurent les maladies infamantes. Les abréactions cathartiques de sa période noire – « in articulo mortis » – sont là pour nous le rappeler, et le subjectile ingrat de son mouroir, sorte d’entéléchie « goyassienne », semble encore nous crier sa victoire tardive sur le temporel, nous interdisant à jamais de lui attribuer cette pietà, quoi qu’il en soit !

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