Starbuck, c’est le nom d’un film québécois qui raconte l’histoire d’un futur papa un peu paumé, pas bien mûr ni très futé. Et qui est déjà le père de 533 enfants, ayant été un donneur de sperme très assidu. 142 parmi les jeunes adultes issus de son sperme demandent à la Justice la levée de son anonymat. Dans l’attente du procès, il se met à en rencontrer quelques-uns, dont une junkie et un handicapé. Le sujet est traité avec bienveillance, avec ce qu’il faut de « beaux sentiments » pour échapper au sordide : le film reste une comédie, un agréable divertissement. Peut-être même est-il trop léger pour un sujet de cette gravité.
Retour à la vraie vie : un médecin néerlandais, le docteur Jan Karbaat, décédé en avril 2017, serait le père de près de 200 enfants. Directeur d’un centre médical dans les années 80, il aurait utilisé son sperme bien au-delà des limites prévues par la loi néerlandaise, qui limite à 25 le nombre de procréations autorisées pour un seul donneur. À la fermeture de cette clinique, en 2009, des irrégularités ont été mises au jour. 47 personnes identifiées nées après insémination avec don de sperme présenteraient un haut de degré de probabilité de lien génétique entre elles, et 22 d’entre elles ont porté plainte, exigeant qu’un test ADN soit effectué pour savoir si ce docteur ne serait pas le donneur. De son vivant, le docteur s’y était toujours opposé, mais la Justice a donné raison aux plaignants. Ils sauront, quoi qu’en pense sa veuve et ses héritiers.
Ce fait divers un peu scabreux m’inspire quelques réflexions.
Il est choquant qu’un médecin, qui devrait être conscient des dangers induits par la consanguinité, puisse ainsi « surexploiter » le sperme d’un donneur quel qu’il soit, multipliant ainsi le risque d’expression d’une maladie génétiquement transmissible aux générations suivantes.
Il est de nombreuses personnes qui, prétendument conscientes des problèmes éthiques que peuvent soulever des pratiques, promettent que des garde-fous d’une efficacité redoutable assureront une parfaite étanchéité entre le tolérable et l’insupportable. Dernier exemple en date, M. Jean-Luc Romero, de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), demandait l’inclusion de l’ouverture de l’euthanasie dans le grand débat national en affirmant qu’elle est légalisée dans plusieurs pays et qu’« aucune dérive n’y est constatée ». C’est faire bien peu de cas des scandales passés, comme cette euthanasie « sauvage » dévoilée en février 2018 d’un patient belge atteint de la maladie de Parkinson. Sa volonté n’avait jamais été ni exprimée ni recueillie. La commission de supervision n’avait pas jugé utile d’en avertir le procureur et un de ses membre en avait claqué la porte avec fracas. Il est permis de douter de l’efficacité des garde-fous et de la probité des promoteurs de ces pratiques qui occultent délibérément de tels faits.
Il vient un moment où le retour sur expérience doit être envisagé, sans a priori, avec méthode et honnêteté intellectuelle. Pour l’insémination avec donneur, c’est maintenant qu’il faudrait le faire. Qui contesterait que, pour bon nombre de personnes, et moi dedans, la satisfaction du désir d’enfant est essentielle à la fécondité de leur propre vie ? Mais dans le cas d’une insémination avec donneur, le prix de cette satisfaction est surtout payé par les enfants qui sont nés amputés d’une partie de leur filiation. L’amour sincère d’un « parent » stérile ayant eu recours aux gamètes d’un tiers ne remplace pas toujours, hélas, ce manque. Faire ce bilan sans préjugé permettrait peut-être de constater, aussi objectivement que possible, que dans l’assistance médicale à la procréation, l’apport extérieur de gamètes est la transgression qu’il aurait fallu ne pas commettre. J’en suis intuitivement persuadé. Raison de plus pour se lever contre celles qu’on nous annonce.