Boulevard Voltaire
Xavier Mignot
Les fautes d’orthographe, en menaçant l’intercompréhension et donc le lien social lui-même, répandent le parfum d’une sédition pernicieuse.
Michel Sapin a présenté ce mercredi son projet de loi sur la formation professionnelle. Pour la financer, moins de cotisations pour les entreprises, plus de participation du Trésor public. Soit ! Le déficit en a connu d’autres… Mais financer quoi, au juste ? Parmi les formations les plus demandées : l’orthographe. Et plus particulièrement le site « Projet Voltaire » qui propose aux entreprises des remises à niveau pour la modique somme d’environ… 1.000 euros par salarié.
Ces chiffres laissent perplexe. Les difficultés qu’éprouvent à la fois les élèves et les employés avec la langue française sont réelles et, semble-t-il, grandissantes. Ne vaudrait-il pas mieux simplifier une bonne fois pour toutes cette orthographe inutilement compliquée qui est la nôtre ? Aujourd’hui plus que jamais, c’est l’enjeu financier qui renouvelle le débat.
D’autant que l’orthographe est, rappelons-le, la plus arbitraire de toutes les normes. Nos auteurs du haut Moyen Âge, qui écrivaient chacun le français à peu près comme bon leur semblait, sans aucune contrainte, seraient certainement très choqués de la violence avec laquelle on ostracise de nos jours les « cacographes ». Seulement, voilà : les fautes d’orthographe, en menaçant l’intercompréhension et donc le lien social lui-même, répandent le parfum d’une sédition qui, pour être involontaire, n’en est pas moins pernicieuse.
Mais du moins, à quoi bon conserver une orthographe aussi ardue ? Pourquoi conserver ce « ph » et ce « th » hérités du grec, ou ces voyelles muettes sur lesquelles tant achoppent ? Les Italiens ne s’embarrassent guère de tels raffinements, et écrivent « filosofia » phonétiquement, sans aucun scrupule… En somme, nous autres, Français, avons tout l’air d’obscurs masochistes livrés à une servitude volontaire d’où « Projet Voltaire » tire cyniquement des profits tout à fait artificiels.
Et pourtant, il faut préserver la complexité de notre orthographe. Non pas comme un tribut aux Anciens, dont le souvenir n’excitera en nous que la vaine nostalgie d’une grandeur révolue, mais parce que notre orthographe, de par sa complexité même, constitue le marqueur culturel le plus patent et le plus universel qui soit. Si les fautes d’orthographe ne sont rien en soi, elles sont souvent lourdes d’implications. Il est difficile de concevoir que ceux qui écrivent leurs infinitifs en « -é » lisent (et aient jamais lu) des livres. Alors, oui, l’orthographe agit comme un critère de sélection implacable mais salutaire, qui permet à l’employeur de séparer – osons le dire – le bon grain de l’ivraie sur un marché du travail saturé.
Voilà la vraie raison de sa juste sacralité. Par la (timide) simplification de 1990, les socialistes avaient déjà pratiqué une médecine des symptômes, plutôt que de s’attaquer aux racines de l’inculture, dont la cacographie n’est qu’une conséquence logique. Puissent-ils ne pas céder davantage à cette tentation au nom d’une égalité de façade.