Radu Portocală (né à Bucarest en 1951) est un survivant dans l’âme : son amour pour la France et sa langue l’ont amené sur tous les sentiers. Il a dû d’abord s’exiler en Grèce pour pouvoir s’installer à Paris en 1982. Il a subi dans sa chair les affres inhérentes à la guerre froide et à l’ontanisation des Balkans. Dans Le vague tonitruant, l’ancien collaborateur de l’hebdomadaire Le Point (de 1986 à 1992) fait une description acide du jeune président de la République française Emmanuel Macron.
Il dénonce l’enthousiasme ridicule qui a suivi son élection, comme si tout le monde avait oublié que la politique était une affaire de limites (en mai 2017). L’homme de « l’identité heureuse » (comme Alain Juppé) est parvenu à se faire élire sur la base d’un optimisme libertaire associé à un libéralisme totalitaire. Portocală perçoit finement le double visage du nouveau Janus : à la fois Bel Ami et Jupiter. Après avoir franchi le Rubicon, Macron pouvait pointer du doigt, avec plus de mépris que quand il était ministre, « ceux qui ne sont rien ». À quelques mois de la manifestation des Gilets jaunes, notre auteur est lucide : « Il finira haï de tous », nous dit-il. Ainsi va un pays vivant au rythme du tweet : un « ersatz de paradis » déterminé par « l’attrait du vide ».
À partir d’une logique post-politique, « le progrès à tout prix n’est qu’une baliverne dangereuse ». Ce nouveau monde tend à façonner un peuple supérieur : « la compétence naîtra de la diversité »(dixit Cédric Villani, mathématicien et député macronien). Portocală démontre pourquoi le macronisme se réduit essentiellement à l’« excommunication des minables ». Ce dernier ne se prive pas pour le faire savoir en usant abusivement de la société du spectacle. La « “France nouvelle” post-française » croit-elle ainsi s’opposer à « la marche du vide » ?
Notre auteur se moque de cette funeste comédie avec panache et élégance. Le centre, comme François Bayrou, n’est que « nulle part triomphant » : ni à droite ni à gauche, mais toujours à Bruxelles. Portocală sait parfaitement ce qu’est une nation privée de souveraineté. Sous occupation monétaire via l’euro-mark, le peuple français a pourtant célébré un parfait suppôt de la mondialisation. L’ancien chargé de cours à l’Institut de formation de la Banque de France (1992-2003) définit cette dernière comme « avatar “libéral” de l’internationalisme si cher aux communistes » qui « prescrit l’oubli de la nation ».
Dans un européisme patenté, Macron se livre à une opposition puérile face à Vladimir Poutine et à Donald Trump : histoire d’une guerre sans merci entre le libéralisme et le souverainisme. Irrémédiablement, Jupiter se met trop en scène. Il représente, jusqu’à la caricature, un parterre de catégories socioprofessionnelles favorisées et de retraités embourgeoisés pour qui il est fondamentalement « interdit d’interdire » (huit millions d’électeurs à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle 2017). Au « temps des idolâtres », Portocală entrevoit l’aube d’une démocrature à la française. L’adoption de la loi prétendant lutter contre les « fake news » en est une preuve évidente. L’ordre libéral-libertaire comporte quelque chose de totalitaire : il dit aux citoyens ce qu’ils doivent faire, et ce, en usant vilement de l’argument scientifique.
Radu Portocală, qui a été également journaliste dans la rédaction roumaine de Radio France Internationale de 1986 à 1988, sait évidemment de quoi il parle. Le basculement dans le totalitarisme dépend de si peu de choses (comme il le démontre dans Autopsie du coup d’État roumain, Calmann-Lévy, 1990). À l’image de son ami le moraliste Emil Cioran (1911-1995), Portocală réussit dans ce pamphlet à contenir sa rage pour mieux soutenir sa grâce. Voilà un manuel de survie à l’usage de ceux qui ne veulent pas sombrer dans le désespoir.
Henri Feng – Boulevard Voltaire