Les méfaits de la novlangue!

« C’est une véritable tuerie, ce fondant au chocolat ! » Ainsi s’expriment, depuis sept ou huit ans, et grâce au poids des réseaux sociaux et autres « fesses de bouc », nombre de donzelles atteintes par le virus de la novlangue. Quant aux dindonneaux souffrant du même mal, ils s’extasient dans des termes identiques sur le dernier jeu vidéo… ou le dernier concert Heavy Métal : « Mais, c’est la tuerie du siècle ce concert ! »

Les honneurs du Petit Larousse 2015

Suprême honneur, la nouvelle acception hyperbolique du mot a trouvé place dans l’édition 2015 du Petit Larousse, jamais à court d’une initiative de mauvais goût. Pour sa part, le dictionnaire de l’Académie française, explique qu’une tuerie est certes l’action de tuer en masse ou de tuer des animaux de boucherie, mais également une simple « exagération de cohue ». « N’allez pas là : c’est une véritable tuerie » signifie pour les Immortels : « N’y allez pas, il y a une foule épaisse ». Une foule épaisse que n’ont pas hésité à tirer comme des lapins, ou à achever par l’égorgement quand la kalachnikov n’avait pas complètement fait son travail, les terroristes islamistes du Bataclan et des bars branchés de l’Est parisien le 13 novembre dernier.

Ce terme de tuerie employé pour désigner un engouement culinaire ou musical évoque comme une sorte de plaisir à se faire du mal. Alors pourquoi ne pas employer les termes d’hécatombe ou de carnage tant qu’on y est ?

Les tueries de Charlie Hebdo et du 13 novembre, boucheries halal à l’état pur, sont une réalité et l’on ose espérer que les décérébrés divers et variés qui jusqu’alors utilisaient ce mot à tort et à travers le banniront à jamais de leur vocabulaire, lui préférant l’expression « C’est à se damner ». Supposé qu’ils aient une idée de ce qu’est la damnation dans la tradition chrétienne !

La colère des Japonais

Dans le même ordre d’idées, parlons des Kamikazés, terme utilisé à tout bout de champ pour désigner les terroristes qui tirent sur tout ce qui bouge au nom de l’islam et massacrent des innocents. Ces criminels correspondent d’ailleurs à la définition contemporaine du terrorisme… qui a vu le jour en France en 1794 : « Le terrorisme est la mise en place d’une violence extrême au service de populations désarmées. »

Le kamikazé japonais était au contraire un soldat de l’Empire, membre de la Tokubetsu Kogeki-tai, qui ciblait uniquement des cibles militaires ennemies et non des populations civiles sans défense – qui, elles, ont été directement visées par les bombardements atomiques américains sur Hiroshima et Nagasaki. La manière dont les médias français et occidentaux galvaudent ce terme (qu’il faudrait prononcer kamidadzé) provoque d’ailleurs l’ire de nombreux Japonais qui réagissent avec véhémence sur les forums nippons en ces termes : « Les kamikazés ont fait ce qu’ils ont fait pour protéger leur pays. Le terrorisme actuel ne vise que des civils. ». Autre indignation : « Vous ne pouvez pas différencier les attaques aveugles et celles qui visent une cible spécifique ? ». Pour la petite histoire, signalons que le mot « kamikazé » fut utilisé pour la première fois dans le journal Le Monde du 7 janvier 1945 qui citait un communiqué impérial selon lequel « des appareils de la formation « kamikazé » ont effectué des attaques contre les formations adverses ». Le 31 juillet 1963, ce mot réapparaissait sous la plume d’Hubert Beuve-Méry qui comparait l’usage que la France pourrait faire de son arsenal nucléaire « au geste suicidaire des kamikazés ». Il s’appropriait ainsi ce terme qu’il sortait de son contexte originel. Enfin le 12 juillet 1966, dans un papier consacré aux anciens de l’OAS, une journaliste du « quotidien de référence » se demandait pourquoi il ne s’était pas trouvé parmi les militants de l’OAS un « kamikazé » prêt à risquer sa vie pour tuer De Gaulle. Et donnait cette réponse surprenante : « Personne, dans les rangs des commandos OAS, n’avait l’âme assez japonaise. »

En 2015, les tueurs de Daech ont-ils l’âme japonaise ? Une question qui, n’en déplaise aux médias de l’oligarchie, mérite une réponse négative.

L’analyse de ces deux mots, tuerie et kamikaze, montre, en fait, combien la lecture du nouveau Dictionnaire de Novlangue (1) s’impose. Un dictionnaire qui en est à sa troisième édition et qui souligne – comme le dit Michel Geoffroy, son principal auteur – « que la novlangue est devenue le signe de reconnaissance de l’oligarchie, comme le latin dans un passé européen, ou le marxisme pour la nomenklatura à la fin de l’Union soviétique ». Ne boudons donc point notre plaisir en achetant, en offrant, en diffusant cette arme qui permet de combattre les 1 000 mots qui nous manipulent et qui sont – qu’on le veuille ou non – une menace permanente pour notre liberté de pensée.

(1) Nouveau dictionnaire de Novlangue, 20 euros, éditions Polemia.

Françoise Monestier – Présent

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